Par Elsa Collobert
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Polars polaires : frissons glacés au cœur de l’été

Pour sa thèse*, Marie-Lou Solbach s’est plongée dans l’étude (rafraichissante) des polars polaires : Qu’est-ce qui nous fascine dans ces enquêtes au pays du grand froid ? Quelles représentations véhiculent ces livres ? Et comment expliquer leur succès récent ? Éléments de réponse avec cette spécialiste de littérature comparée, française et scandinave, qui soutiendra sa thèse en décembre.

Sur les tables des librairies, ils sont partout : le succès populaire des polars venus du froid ne se dément pas, ces dernières années. Marie-Lou Solbach ne s’y est pas trompée, choisissant pour son corpus d’étude sept ouvrages parus entre 2000 et 2020, d’auteurs bien connus des amateurs de frissons glacés. Deux d’entre eux, Mo Malø et Sonja Delzongle, viennent, pour l’un, de clore une série policière au Groenland, pour l’autre de faire paraître un nouveau roman toujours dédié aux problématiques écologiques, mais du côté canadien.

Inquiétudes contemporaines

Si les compteurs des lecteurs et des parutions s’affolent, c’est tout simplement car ces livres font écho à nos peurs contemporaines, souligne Marie-Lou Solbach, qui fait de cette idée la clé de voute de sa thèse (intitulée « Enquête policière : cartographie des inquiétudes contemporaines dans les polars polaires »). Ils sont nombreux à mettre en scène un Nord en première ligne du changement climatique, dont la banquise s’étiole, en proie à l’effondrement géologique, dont les artefacts sombrent dans la mer. L’auteur de référence Jared Diamond l’a démontré : L'effondrement civilisationnel est en partie lié aux changements climatiques Et ainsi que le rappelle le psychiatre Serge Tisseron (dans le numéro du Un des libraires, « Pourquoi aimons-nous la peur ? », mars 2020), ''le polar est le medium parfait pour exorciser nos peurs''. Le Nord permet de les mettre à distance, façon catharsis, sur ces terres lointaines et inconnues.

Exotisme glacial

Le point de départ du voyage de Marie-Lou Solbach dans la littérature du Grand Nord, ce sont des récits d’expéditions polaires, étudiés en master. Autant d’espaces rêvés et fantasmés, sur lesquels on peut projeter beaucoup de choses. Des étendues immaculées de glace et de neige, balayées par le blizzard, propices à créer une forme d’exotisme, plus glacial que tropical - en témoignent les cartes, simplifiées, qui figurent dans quasiment toutes les ouvrages du corpus d’étude de Marie-Lou Solbach. En d’autres termes, une page blanche.

Le récit sur le changement climatique se double d’une étude ethnologique, la plupart des auteurs témoignant d’une ambition didactique au sujet des peuples autochtones (Sames et Groenlandais). Là aussi, ces récits portent l’idée de la fin d’un monde que l’on a connu, la fin d’une ère, celle de leurs modes de vie traditionnels.

S’ils sont porteurs d’une forme de catharsis face aux angoisses du monde contemporain, ces romans laissent ouverte la question de l’ « après ». Si message il y a, ce serait celui d’un nécessaire rapprochement avec la nature. On y trouve aussi une certaine forme de nostalgie, notamment quant aux modes de vie des peuples autochtones, empreinte pour certains auteurs d’une forme d’européanocentrisme. N’étant pas eux-mêmes issus de ces populations, ils adoptent un point de vue forcément biaisé et une vision pas toujours très flatteuse.

« Le Nord comme un personnage à part entière »

Renard, ours, aurores boréales, cabanes isolées… Au delà du texte lui-même, Marie-Lou Solbach a aussi étudié le branding autour de ces ouvrages, comment on vend le Nord, notamment sur leurs couvertures. Une vision folklorique qui accentue l’effet d’exotisme mais confirme l’importance du lieu dans les textes : Dans ces textes, le Nord n’est pas juste un prétexte. Les personnages n’évoluent pas dans un décor mais interagissent avec leur environnement, un univers en soi. On pourrait presque dire que le Nord est un personnage à part entière.

De ce point de vue, les recherches de Marie-Lou Solbach confirment un déplacement du cadre fictionnel au sein du genre populaire qu’est le polar : Les ouvrages que j’ai étudiés vont au-delà de la simple satisfaction qu’apporte la résolution d’une énigme policière façon puzzle, ce que pouvaient proposer les pionniers du genre, comme Agatha Christie. Ils participent à un renouvellement contemporain du genre : le plaisir provient principalement de la découverte du lieu.

* Ecole doctorale des humanités et Mondes germaniques et nord-européens (UR 1341), sous la direction de Thomas Mohnike

Polars polaires : de quoi parle-t-on ?

Marie-Lou Solbach délimite la zone géographique concernée par les polars polaires de son corpus comme celle placée au dessus du cercle arctique, et plus précisément quatre espaces :

  • Groënland
  • Svalbard
  • Scandinavie
  • Pôle Nord (inhabité)

Idées lecture : le corps d’étude de Marie-Lou Solbach

La doctorante a balisé un cadre pour son objet d’études : sept polars, parus entre 2000 et 2020.

En plus des sept ouvrages analysés pour sa thèse, d’auteurs français (3), norvégiens (2), suédois (1) et danois (1), tous traduits dans la langue de Molière, les lectures connexes étaient bien sûr nombreuses.

  • Lars Pettersson, La Loi des sames [Kautokeino, en blodig kniv], Anne Karina (trad.), Paris, Folio, 2014 [2013] (1/4)
  • Olivier Truc, Le Détroit du loup, Paris, Métaillé, 2014 (2/4)
  • Monica Kristensen, L’Expédition [Ekspedisjonen], Loup-Maëlle Besançon, Monfort-en-Chalosse, Gaïa, “Gaïa Polar”, 2016 [2014] (5/5)
  • Sonja Delzongle, Boréal, Paris, Denöel, “Sueurs froides”, 2018
  • Mo Malø, Qaanaaq, Paris, La Martinière, 2018 (1/4)
  • Mads Peder Nordbo, La Fille sans peau [Pigen uden hud. Niviarsiaq ameqanngitsoq], Terje Sinding (trad.), Paris, Actes Sud, “acte noir”, 2020 [2017] (1/3)
  • John Kåre Raake, La Glace [Isen], Helene Hervieu (trad.), Neuilly-Sur-Seine, Michel Lafon, 2020 [2019]

Entre parenthèses, le volume dans la série.

Même si je dois avouer que le succès de ce genre de littérature croissant avec les années a été bénéfique à ma thèse, la récente multiplications des publications m’a angoissée. Impossible de tout lire ! Heureusement, une rapide vérification lui a permis de s’assurer que les assertions formulées dans sa thèse se confirmaient dans les ouvrages les plus récents.

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