Par Elsa Collobert
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Misha : les 20 ans d’une pépinière d’idées

Tout comme le réseau national auquel elle est rattachée, la Maison interuniversitaire des sciences de l’Homme-Alsace (Misha) fête cette année ses 20 ans d’existence. Quel bilan et quelle feuille de route pour le futur : nous avons interrogé son directeur, Didier Breton, ainsi que Gilles Pollet, membre du directoire du Réseau national des Maisons des sciences de l’Homme (RNMSH)¹, à l’occasion de la journée-anniversaire du 4 juillet.

Quelle est l’histoire de la création des Maisons des sciences de l’Homme ?

Gilles Pollet : La création originelle remonte à la Maison des sciences de l’Homme, à Paris, par l’historien Fernand Braudel, en 1963. D’abord association, elle devient l’année suivante fondation (FMSH) reconnue d’utilité publique, sur le modèle des fondations à but non lucratif nord-américaines et la Fondation nationale des sciences politiques (FNSP).

Dès le départ, on retrouve l’idée d’interdisciplinarité et la logique d’internationalisation : faire travailler les différentes disciplines des sciences humaines et sociales (SHS) ensemble, mais aussi avec d’autres domaines.

La structuration du ministère intervient à partir des années 1990, au fur et à mesure que le nombre de Maisons des sciences de l’homme (SHS) augmente.

Les Maisons des sciences de l’Homme sont 22 en FranceLeur point commun est leur ancrage territorial, à l’exception de la FMSH qui conserve un statut à part. Les 22 Maisons des sciences de l’Homme françaises réunies au sein du RNMSH deviennent un groupement d’intérêt scientifique (GIS) en 2006.

Didier Breton : À Strasbourg, la Misha est créée à la fin des années 1990, en 1998, et rejoint le réseau deux ans plus tard.

La structure est d’abord pensée pour faire travailler ensemble les sciences humaines et sociales réparties à l’époque dans trois universités sur le site strasbourgeois  : économie, psychologie, géographie, langues étrangères appliquées à Louis-Pasteur, le droit, les sciences politiques à Robert-Schuman, les autres sciences sociales à Marc-Bloch. On a conservé aujourd’hui cette logique interuniversitaire, mais à l’échelle du site Alsace avec l’Université de Haute-Alsace !

Alain Chauvot, son fondateur et premier directeur, a lui aussi imprégné de sa patte d’archéologue notre maison, que ce soit du côté du contenu de la bibliothèque hébergée ou de la conception de notre bâtiment. Emérite, il sera présent le 4 juillet.

Quelle est l’ambition de ces structures ?

G. P. : Fédérer les acteurs et actrices de la recherche en sciences sociales, et les représenter vis-à-vis de leurs tutelles (ministère, CNRS, CPU - aujourd’hui France Universités). Les MSH sont à la fois des portes d’entrées et des relais des très grandes infrastructures de recherche.

Pour mener cette mission, elles disposent de plusieurs outils : la mutualisation des équipements et la mise à disposition de ressources et services d’accompagnement (réseaux de plateformes), en particulier dans deux domaines-phares : les humanités numériques et la science ouverte.

Les MSH comme le réseau se veulent des incubateurs. Avec nos appels à projets (AAP) communs, nous souhaitons notamment favoriser l’émergence de réseaux thématiques, impulser des dynamiques pluri-sites, favoriser l’émergence de projets de recherche interdisciplinaires et innovants. Avec l’aide du CNRS et du ministère, le réseau participe notamment à la structuration de deux champs et réseaux thématiques : l’un sur les « crises sanitaires et environnementales », et l’autre sur  « Sport et société » avec l’horizon des Jeux olympiques 2024 à Paris. Paradoxalement, la pandémie a favorisé la mutualisation et le rapprochement des chercheurs et des sites, que ce soit pour le suivi de nos webinaires, le recensement des actions territoriales ou la mise en lien des équipes. Cela reste bien-sûr à consolider à l’avenir.

D. B. : Pour le site alsacien, l’ambition est de constituer une tête de pont, un « facilitateur » et un moteur de l’interdisciplinarité de la recherche en SHS menée en Alsace. En cela, la Misha contribue à la valorisation de la recherche produite par l’ensemble des unités de recherche du site.

Un rôle d’« hôtel à projets »

Quelles sont les spécificités strasbourgeoises ?

D. B. : Nous offrons une structure et des services communs aux 32 unités de recherche. En plus de notre rôle d’« hôtel à projets », nous sommes une MSH « hébergeante » en accueillant quatre des six laboratoires sous double tutelle en SHS de l’Unistra2 (pour tout ou partie des équipes), ce qui n’est pas le cas de toutes les MSH. À noter qu’unités hébergées et non-hébergées bénéficient toutes des mêmes services et traitements.

Nous sommes l’une des seulement deux Unités d'appui et de recherche (UAR) à l’échelle du site alsacien.

Au fil du temps, la Misha a développé une expertise particulière sur les questions européennes et franco-allemandes, avec notamment la création du Germanopôle en 2020. Plus récemment, une expertise s’est développée sur la question des données en sciences sociales, notamment des données des grandes enquêtes, mais aussi les humanités numériques et la science ouverte. La culture commune des données dont la promotion est portée par le réseau s’est beaucoup développée ici. C’était mon ambition et la mission qui m’était confiée à mon arrivée, en 2018. Aujourd’hui deux de nos trois pôles (« Données numériques et savoirs » et l’Ouvroir) et leurs plateformes sont reconnus localement, mais aussi nationalement et internationalement dans ces domaines. À titre d’exemple, la Plateforme universitaire de données (PUD), la plus ancienne de nos plateformes (2018)  est devenue partenaire de l’Equipex LifeObs, en collaboration avec l’Institut national d'études démographiques (INED) et l’infrastructure de recherche Progedo, ce qui n’est pas un hasard.

Issus de l’appel à projet interMSH 2019-2020, deux projets sont portés par la Misha, et elle est partenaire de quatre autresPour ce qui est des collaborations inter-MSH, les affinités se tissent naturellement avec la MSH Lorraine, l’autre MSH du Grand Est, notamment à travers le Germanopôle, mais aussi le projet ambitieux de plateformes complémentaires Covid-SHS, financé par la Région, l’Etat et les collectivités territoriales. Mais cela ne s’y réduit pas, puisque dernièrement nous nous sommes impliqués dans deux projets de recherche avec la MSH de Bordeaux.

Quels sont les liens avec Instituts thématiques interdisciplinaires (ITI), eux aussi sur un positionnement très interdisciplinaire ?

On évolue en même temps, il y a des affinités et nous avons en commun la promotion de l’interdisciplinarité à l’échelle du site. La coexistence se formalise petit à petit. Les étudiants de l’ITI Makers bénéficient par exemple de cours assurés par notre ingénieur de recherche sur la PUD. L’ITI HiSAAR (Histoire, sociologie, archéologie et anthropologie des religions) est en partie hébergé à la Misha. Des expositions organisées par les ITI sont aussi régulièrement mises en place chez nous.

Nous sommes une maison vivante, dotée d’une bibliothèque de recherche, animée au gré des colloques, séminaires, ouverte à tous. C’est ainsi que je l’ai toujours pensée, et la journée du 4 juillet, dont le programme a été conçu pour être festif, en témoigne (lire encadré).

1 Par ailleurs directeur de la Maison des sciences de l’Homme Lyon - Saint-Etienne
2 UMR Archéologie et histoire ancienne : Méditerranée – Europe (Archimède) UMR 7044 ; Droit, religion, entreprise et société (Dres) 7354, Laboratoire interdisciplinaire en études culturelles (Lincs, ancien Dyname) et UMR sociétés, acteurs, gouvernement en europe (Sage) 7363

RNMSH : quel fonctionnement ?

Groupement d’intérêt scientifique (GIS), le Réseau national des Maisons des sciences de l’Homme (RNMSH) est une infrastructure de recherche inscrite depuis 2012 sur la feuille de route nationale du ministère de l’Enseignement supérieur.

Sa gouvernance se compose de quatre instances : un comité directeur rassemblant les directions des 22 MSH, ainsi que des représentants des tutelles ; un bureau ; un directoire et un conseil scientifique.

Le GIS est lui même adossé à une Unité mixte de service (UMS) 3603.

Le Codir profite de l’occasion de sa présence à Strasbourg pour provoquer l’une de ses deux réunions annuelles, les 5 et 6 juillet.

Une année de festivités

Voulue comme festive après tant de temps « passé à échanger derrière des écrans », la journée événement du 4 juillet est dotée d’un riche programme : Escape game, atelier jeux vidéos, quizz, visites d’exposition… de 14 h à 18 h. Et c’est ouvert à tous !

Didier Breton et Gilles Pollet se félicitent de la présence de Marie Gaille, directrice de l’Institut des sciences humaines et sociales (INSHS) du CNRS.

Mais toute l’année 2022 est aussi rythmée par les célébrations de cette double décennie. Une journée d'échanges autour des revues en sciences humaines et sociales, les 10 et 11 mai, coordonnée par Isabelle Laboulais. L’Université de Strasbourg s’est en effet récemment dotée d’un pôle de soutien à l’édition de revues, baptisé l’Ouvroir.

Depuis février, une série de cinq expositions se déploient : « Un laboratoire de l’archéologie classique : la collection Adolf Michaelis » (8-24 février) ; « Sur la piste de Thèbes : un siècle et demi de recherches strasbourgeoises dans une capitale de l’Égypte ancienne » (20 avril-25 mai) ; « Les collections universitaires vues par les étudiants d’aujourd’hui » (13 juin - 9 juillet) ; « Le cabinet de Jean Hermann » (du 12 septembre au 9 octobre) et enfin « L’ostéothèque du Musée zoologique de Strasbourg : référentiel, outil de recherche et de formation » (21 novembre au 16 décembre).

Une conférence était organisée le 9 mai avec le Jardin des sciences autour de l’exposition d’égyptologie alors à l’affiche, afin d’inviter le grand public à se joindre à la fête. C’est aussi pour approfondir cette relation que la Misha s’investira dans l’édition 2022 de la Fête de la science, en octobre.

Enfin, le colloque annuel, organisé par Sylvain Perrot, co-directeur de la Misha, réunira les 22 et 23 novembre une large assemblée de chercheurs et responsables de collections autour de la thématique des collections universitaires, de leurs histoires et de leurs usages.

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