Par Elsa Collobert
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500 personnes mobilisées pour un exercice grandeur nature

Entre services de police, de secours, de l'université, figurants, étudiants en médecine et journalisme, pas moins de 500 personnes ont été mobilisées pour l'exercice Novi (Nombreuses victimes), simulation impressionnante de réalisme, sur le campus. Récit d'une expérience à la frontière entre fiction et réalité.

Le bilan provisoire est de six morts, dont l'assaillant, et 111 blessés

Drones, civières, camions de pompiers, ambulances, brigades d'intervention, poste médical avancé, PC sécurité... C'est un impressionnant dispositif sécuritaire et médical qui s'est déployé, mercredi en début d'après-midi, aux alentours du Studium. Le bilan provisoire est de six morts, dont l'assaillant, et 111 blessés. 69 véhicules de secours ont été déployés, ainsi que quatre hélicoptères sanitaires, rendront compte le soir-même les étudiants du Centre universitaire d'enseignement du journalisme (Cuej) dans leur point d'information radio enregistré dans les studios de l'école, à l'Escarpe, à quelques mètres du Studium. Or le scénario dramatique qui s'y est déroulé quelques heures plutôt est à la fois vrai... et faux. D'hélicoptères, il n'y en a pas eu de déployés sur le campus. Pas plus que de morts, ni de victimes, fort heureusement.

Mais c'est bien un exercice en conditions réelles, minutieusement préparé depuis des mois, qui a débuté en début d'après-midi au Studium. Il est un peu plus de 13 h quand un homme entre seul dans le bâtiment aux courbes blanches, abritant une bibliothèque universitaire, à l'angle du boulevard de la Victoire et de l'allée Blaise-Pascal. Il est à pied, vient de descendre du tram, veste militaire sur le dos et casquette sur la tête. Tel est le scénario prévu par la préfecture, orchestre de la mise en scène grandeur nature : le périple meurtrier d'un homme seul, doté d'armes blanches et à feu, qui sème la panique parmi les personnes présentes dans la cafétéria du rez-de-chaussée, faisant de nombreuses victimes (c'est d'ailleurs la signification de l'acronyme « Novi »).

Longues et pesantes minutes

13 h 20, les abords du bâtiment sont encerclés par des hommes en casques et uniformes, armés – on pense au Raid, mais il s'agit en fait de forces similaires, entrainées au niveau local. Après de longues et pesantes minutes, les premières victimes sont évacuées, sur des civières tirées au sol ou, pour les moins touchées, à la queue-leu-leu, se tenant par les épaules. Sur le boulevard, un petit groupe ayant réussi à sortir du bâtiment appelle les secours à l'aide.

On a beau savoir que tout est pour de faux, que les 116 victimes et personnes impliquées sont des étudiants en médecine, briefés sur leur « légende », on ne peut s'empêcher de frissonner devant un tel déploiement de réalisme.

Les dispositifs de soutien psychologique n'ont pas été oubliés

Alors qu'un cordon de sécurité est déroulé autour du Studium, aux abords de la zone, la vie continue, les échos d'un chantier résonnent, le tram et les cyclistes circulent. Des badauds curieux commencent à s'amasser, certains dégainent leur téléphone pour filmer. En revanche, la circulation des voitures sur le boulevard a été coupée pour simplifier l'intervention des forces de police et de secours. Confuse, une jeune femme éclate en sanglots : les dispositifs de soutien psychologique, pour les personnes impliquées et les extérieurs, n'ont pas été oubliés dans le scénario, car les conséquences peuvent être ici bien réelles.

Des étudiants jouent la pression médiatique

Même les forces de police ne savent plus où donner de la tête : Attendez, vous faites partie des faux ou des vrais journalises ?, me demande le commissaire Xavier Rauch. Il a pris le commandement des opérations de police depuis le poste de sécurité déployé place des Nobels, avec la Protection civile. Une zone stratégique choisie pour sa proximité avec les événements, mais aussi un peu à distance pour la sécurité, bardée d'écrans avec plan des installations, talkie walkies et drones. Caméras et micros au poing, des étudiants du Centre universitaire d'enseignement du journalisme (Cuej) sont déployés un peu partout pour jouer la « pression médiatique », soutirer le maximum d'informations, d'images et d'interviews autour de l'événement, comme des journalistes le feraient en conditions réelles.

Les victimes sont triées selon la gravité de leurs blessures

A quelques mètres, le poste des pompiers : les victimes y sont conduites pour être triées, selon la gravité de leurs blessures, déterminées par un bracelet : rouge pour les urgences vitales, jaune absolues, vert pour les impliqués (les morts étant dotés d'un bracelet noir). Sans oublier le qwercode à leur poignet, qui permet de les suivre tout au long de l'intervention. Dans ce contexte, les policiers sont les premiers arrivés sur les lieux, ils déterminent la zone d'exclusion en fonction de la progression de l'agresseur – entre-temps neutralisé, puisqu'il s'est suicidé, souligne le commandant Yann Scheer, du Service départemental d'incendie et de secours (Sdis) 67. Puis les pompiers prennent le relais, pour les secours aux personnes. Sous des couvertures de survie, les blessés sont ensuite dirigés vers le Poste médical avancé, installé à l'Institut Le Bel. Au centre sportif, c'est une salle de sport qui a été allouée à la hâte à l'accueil des « impliqués », témoins mais non blessés, pris en charge avec boissons et gâteaux par des bénévoles la Croix-Rouge et la Protection civile. Avant d'y être conduits, ils sont interrogés par des officiers de police judiciaire en tant que témoins, la police scientifique ayant quant à elle pris ses quartiers au Studium, pour débuter les premiers relevés de l'enquête.

Menace en perpétuelle évolution

Les militaires de l'opération Sentinelle ont été impliqués en dernière minute dans l'exercice, précise la préfète Josiane Chevalier, lors d'un point presse improvisé, après le relèvement au maximum du niveau d'alerte du plan Vigipirate, suite à l'attentat d'Arras. Dans le cas d'une situation réelle, la conférence de presse serait menée sous l'égide du parquet, glisse le chargé de communication de la police.

50 personnels de l'Unistra mobilisés, en particulier des équipes de la Direction des affaires logistiques intérieures (Dali), des bibliothèques, du Studium, de la communication, de la DGS et de la présidence (cellule de crise)

En préparation depuis des mois, cet exercice a mobilisé 120 membres des services de police (nationale, judiciaire, scientifique, municipale), de la sécurité civile, (Samu, Service d'incendie et de secours, clinique Rhéna...) et 50 personnels de l'université, sans oublier les 116 « plastrons » de la Faculté de médecine, ainsi qu'une dizaine d'observateurs allemands – 500 personnes au total. Il s'agit justement de se préparer à faire face à ce genre de situation de crise et de mettre à l'épreuve nos dispositifs, précise Laurent Tarasco, Directeur départemental de la sécurité publique, en testant leur réactivité et leur coordination, face à une menace en perpétuelle évolution et des services qui, eux aussi, voient leurs effectifs évoluer. Alors qu'une dizaine d'exercices sont organisées dans l'année, un dispositif d'une telle ampleur ne peut l'être qu'une fois par an – l'année dernière, au Zénith.

De son côté, l'université a déclenché sa propre cellule de crise, une fois l'alerte donnée. Une fois connue la situation, j'ai pris la décision de confiner les bâtiments aux abords du Studium et notamment l'Institut Le Bel. L'intérêt d'un tel exercice est aussi qu'il prend place sur notre campus enchâssé dans la ville, un lieu par essence ouvert à tous, ce qui est propre au partage et à la transmission des connaissances, complète Michel Deneken, président de l'Université de Strasbourg, qui a entre-temps rejoint les lieux. Il faut nous préparer car nous sommes potentiellement des cibles, et dans ce contexte j'en appelle à la vigilance renforcée de tous, sans pour autant tomber dans la délation. Le campus Esplanade accueille chaque jour plus de 30 000 personnes.

Des points d'amélioration à identifier

S'il vise à tester la bonne coordination des services de secours et opérationnels, ce qu'il a permis de vérifier mercredi 25 octobre, l'exercice Novi a aussi pour ambition d'améliorer ces dispositifs, en cas de survenue d'un réel incident.

Nous avons d'ores et déjà identifié quelques points d'amélioration, comme la difficulté des communications radio dans un bâtiment tel que le Studium, qui a agi comme une cage de Faraday, souligne Laurent Tarasco, Directeur départemental de la sécurité publique. Il s'agit aussi d'améliorer encore la coordination entre les services intervenant dans le bâtiment et ceux qui se déploient pour les secours, à l'extérieur. De son côté, Michel Deneken pointe une meilleure articulation dans la gestion des différents niveaux d'information, entre celles obtenues par la cellule de crise et celles diffusées par les médias, afin d'adapter notre réaction.

Le retour d'expérience réalisé par les différents acteurs permettra d'enrichir les mises à jour des plans, notamment dans la perspective des Jeux olympiques et paralympiques de Paris 2024.

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