« Ce que les philosophes disent d'eux-mêmes ouvre la voie à une meilleure compréhension de leur philosophie »
Nouveau directeur des Cahiers philosophiques de Strasbourg, Édouard Mehl, professeur de philosophie à l’Université de Strasbourg, revient sur la place de l'autobiographie dans la philosophie. Chemin vers un soi authentique ou au contraire emprunté ?
Pourquoi avoir choisi d'aborder le thème de l'autobiographie dans le dernier numéro des Cahiers philosophiques de Strasbourg ?
De saint Augustin à Rousseau, l'écriture de soi est au cœur de la philosophie. Depuis l'Antiquité, d'innombrables vies de philosophes ont été publiées, souvent par des philosophes eux-mêmes. Avec les membres du Centre de recherches en philosophie allemande et contemporaine (Crephac) de l'Université de Strasbourg, il nous a paru intéressant de nous interroger sur la nature et le rôle de ces écrits. Quelle utilisation les plus illustres des philosophes font-ils de l'exercice biographique ou autobiographique ? Ce peut être un moyen de tester sa méthode et ses concepts — comme par exemple Sartre testant ses concepts de « projet » et de « psychanalyse existentielle » sur la personne de Flaubert —, de justifier a posteriori son parcours, de nourrir sa pensée à partir de celle d'autres personnalités, ou encore de se forger une dimension publique. Même quand ils revendiquent le contraire, l'immense majorité des philosophes laissent transparaître leur "je" et leur subjectivité dans leurs écrits, même les plus théoriques. Ce qu'ils disent explicitement d'eux-mêmes (Rousseau, Comte, Descartes), ou des autres (Sartre, Foucault ou Arendt), ouvre la voie à une meilleure compréhension de leur philosophie à laquelle contribue ce 53e numéro des Cahiers philosophiques de Strasbourg.
Alors que la pratique de la biographie était généralement l'apanage des puissants (politiques, artistiques, économiques, intellectuels) et des notables, elle s’est aujourd’hui largement démocratisée. Partagez-vous ce sentiment et qu'est-ce que cela vous inspire ?
Il y a effectivement une extension de la dimension autobiographique à de plus en plus de pans de nos sociétés. Aujourd'hui, il est tout à fait possible de publier ses mémoires, sans les avoir réellement écrits, à des seules fins lucratives et promotionnelles, sans aucune ambition intellectuelle. On peut l'interpréter comme une forme de marchandisation du savoir et de soumission aux diktats néolibéraux qui poussent et valorisent la promotion de soi permanente. Plus spécifiquement, on peut noter aussi, dans l’expression philosophique contemporaine, une omniprésence de la première personne, ce qui n’est pas toujours utile, si ce n’est que cette mise en scène du locuteur ne serve parfois à masquer la pauvreté de son ambition théorique…
Il s'agit de votre premier numéro des Cahiers philosophiques de Strasbourg en tant que directeur de cette revue bientôt trentenaire. A quoi ressemblera-t-elle sous votre houlette ?
Le changement le plus notable sera celui de la maquette et de la présentation que nous souhaiterions faire évoluer. Pour le reste, nous continuerons à publier deux numéros par an, ce qui d'ailleurs est un rythme soutenu qui reflète et démontre l'engagement de toute l'équipe. Notre ligne éditoriale restera la même, nous continuerons d'évoquer prioritairement la philosophie allemande et contemporaine, en cohérence avec les objets d'études du Crephac. Nous veillerons aussi à enrichir la revue par la publication ou la traduction régulière de textes inédits et à développer notre rubrique de recensions d’ouvrages. Depuis 1994, et leur création par Jean-Luc Nancy à qui nous consacrerons notre numéro anniversaire, l'apport scientifique des Cahiers est considérable. Nous ferons tout pour maintenir cette flamme, en continuant de donner la parole à de jeunes doctorants et chercheurs, comme l'illustre la nomination d'Alix Bouffard au poste de rédactrice en chef. Je n'ai donc pas d'autre ambition que de perpétuer le travail qui a déjà été effectué par mes prédécesseurs, tout en préparant sereinement la transmission du flambeau à la nouvelle génération.
Les Cahiers philosophiques de Strasbourg
Les Cahiers philosophiques de Strasbourg ont pour thème principal la philosophie allemande, son histoire, sa relation à la philosophie antique et ses prolongations dans la philosophie contemporaine. Fondée en 1994 par les philosophes Philippe Lacoue-Labarthe et Jean-Luc Nancy, les Cahiers philosophiques de Strasbourg sont une revue à comité scientifique, dirigée par Édouard Mehl et Alix Bouffard, tous deux membres du Crephac de l’Université de Strasbourg.
- La revue est accessible en version électronique sur Open Edition.
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