Par Mathilde Hubert
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A la recherche de nouvelles formes d’antibiotiques en terres australes

Etudier l’adaptation des organismes en conditions extrêmes, tel est le créneau de Fabrice Bertile. Dans le cadre du projet Antarbiotic, le chercheur à l’Institut pluridisciplinaire Hubert Curien (IPHC – CNRS / Unistra), embarque pour une mission de six mois sur les Iles Crozet, en Antarctique, afin de découvrir de nouvelles formes d’antibiotiques grâce au manchot royal.

Le papa manchot a plus d’un tour dans son estomac. Quand la femelle part pêcher, le mâle prend le relais et couve l’œuf. La femelle peut partir durant une à trois semaines et revenir après l’arrivée du nouveau-né. Le mâle doit donc nourrir son petit avec de la nourriture conservée dans son estomac à une température de 38˚C. Le bol alimentaire reste intact et des morceaux de poissons ou de poulpes sont régurgités entiers.

Comment ces aliments ont-ils pu rester stockés aussi longtemps sans prolifération bactérienne ? Grâce à la présence d’une molécule antimicrobienne, une défensine appelées pheniscine, très efficace contre de nombreuses souches microbiennes associées à des infections connues chez l’homme, notamment des staphylocoques dorés ou Aspergillus fumigatus, responsables de l’aspergillose, explique Fabrice Bertile.

Développer une nouvelle génération d'antibiotiques

Je faisais ma thèse quand ce peptide a été isolé il y a 20 ans par Yvon Le Maho, chercheur à l’IPHC, en collaboration avec Philippe Bulet, directeur de recherche en biochimie. Aujourd’hui, alors que les technologies et les connaissances sur le génome du manchot ont beaucoup évolué, nous relançons le projet, poursuit le scientifique

Financé par l’Institut thématique interdisciplinaire (ITI) Institut du médicament (IMS), le projet Antarbiotic, qui vise à développer une nouvelle génération d'antibiotiques, se décline en deux axes de recherche : identifier les molécules impliquées et les tester sur différentes souches bactériennes, pour comprendre leur mécanisme d’action.

Pas de méthode invasive

Nous ne pouvons pas collecter ces échantillons directement sur le manchot royal car nous ne voulons pas utiliser de méthode invasive, détaille le chercheur. Nous devons donc attendre qu’un prédateur agisse pour collecter nos échantillons sur le cadavre d’un manchot. Il faut être au bon endroit, au bon moment. C’est une longue mission d’observation qui m’attend pour les six prochains mois.

Une fois les échantillons recueillis et rapatriés à Strasbourg, les scientifiques les analysent dans un premier temps au spectromètre de masse à l’IPHC, afin d’identifier un maximum de molécules. Ils sont également transmis à Philippe Bulet, qui les fractionnera pour identifier les molécules actives sur les bactéries.

Des perspectives dans le domaine de la médecine oculaire

Une double approche qui devrait nous permettre de ne rien manquer, commente Fabrice Bertile. Nous avons déjà pu identifier une dizaine de molécules, en analysant des échantillons anciens, et caractériser une partie de la pheniscine. Avec ce nouveau travail, nous espérons déterminer la structure complète de cette molécule.

Un travail d’autant plus prometteur que l’on sait déjà que ce peptide peut être reproduit en laboratoire et qu'au-delà de son action sur des bactéries résistantes, comme le staphylocoque doré, il y a également des perspectives d’utilisation chez l’homme, notamment dans le domaine de la médecine oculaire. Cette molécule antimicrobienne étant très active dans l’estomac des manchots qui est un milieu salin, elle pourrait l'être aussi dans nos yeux baignés de larmes salées…

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