Par Marion Riegert
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L’écriture cyrillique, un enjeu politique

L’exposition « Les polices et les politiques des écritures cyrilliques » se tient jusqu’au 30 juin à la Bibliothèque des langues du Portique. Un projet proposé dans le cadre de Strasbourg capitale mondiale du livre Unesco 2024 qui met en avant l’écriture cyrillique. L’occasion de se replonger dans l’histoire politique et culturelle des pays slaves.

Après l’exposition « Livres interdits. Livres impossibles. Livres évadés », cette nouvelle exposition réalisée avec des étudiants poursuit l’objectif de Riva Evstifeeva, enseignante russe au Département d'études slaves, et Maria Baliassova Rentz, bibliothécaire, de valoriser les ouvrages du fonds slave.

A travers une vingtaine d’ouvrages de ce fonds mais aussi de collections privées, la thématique porte cette fois sur l’écriture cyrillique permettant de mettre en évidence les différences et les similitudes entre les peuples de l'Europe de l'Est. Le tout, avec trois panneaux explicatifs à l’appui pour rappeler l’histoire de cette écriture.

Au 20e siècle, le cyrillique est imposé dans toute l’URSS

Né au 9e siècle, le cyrillique est adapté d’une des écritures grecques médiévales. Par une confusion historique, elle fut nommée cyrillique du nom d’une autre écriture inventée à la même période pour les slaves par Saint Cyrille mais rapidement abandonnée, rapporte Riva Evstifeeva qui présente un manuscrit médiéval de Bulgarie. A l’époque médiévale, le centre de propagation du cyrillique est le territoire qui est aujourd’hui partagé entre la Bulgarie et la Macédoine, glisse l’enseignante. Fin 19e, début 20e, les Russes sont souvent perçus dans les Balkans comme les libérateurs de l’Empire ottoman, le cyrillique devient à la mode.

L’écriture n’est pas stable et est modifiée par deux grandes réformes ayant une motivation politique. Au 18e siècle déjà par le tsar Pierre le Grand. Il impose une européanisation des coutumes et crée une écriture qui ressemble plus aux caractères latins. L’ancienne écriture survit alors dans l’écriture ecclésiastique que l’on peut voir dans un livre imprimé de 1837.

La deuxième grande réforme fait suite à la révolution bolchévique au 20e siècle. L’écriture est alors simplifiée, dans l’idée de créer une nouvelle société, avec une nouvelle culture et marquer la césure historique. Le cyrillique est imposé dans toute l’URSS. En signe de résistance, des intellectuels russes émigrés à l’étranger font le choix de conserver l’orthographe de l’époque monarchique. Les deux orthographes sont présentées à travers deux ouvrages de 1923 et 1925. Un troisième, des années 50, est écrit à l’aide d’une orthographe mixte qui se voit seulement chez les populations émigrées.

L’alphabet latin pour se distinguer des Russes

L’exposition est aussi l’occasion de se pencher sur l’usage du cyrillique dans les autres pays slaves, un livre met ainsi en parallèle le cyrillique russe et ukrainien. Quelques caractères ont pris des chemins différents et existent en ukrainien et pas en russe. Un autre ouvrage en biélorusse permet de mettre en avant le fait qu’il existe dans le pays deux orthographes : une d’opposition, plus nationaliste, et une soviétisée.

Une dernière vitrine expose différents abécédaires en ukrainien, en russe et en vieux slave, les enfants apprenaient les deux, mais aussi en polonais pour montrer que certaines langues slaves ont opté pour les caractères latins.

Suite à la guerre, les Ukrainiens essayent de développer un alphabet latin pour se distinguer des Russes

De nos jours, la Russie, la Bulgarie, la Serbie, la Macédoine, la Biélorussie, l’Ukraine et parfois la Bosnie emploient encore l’écriture cyrillique. Certaines pays d’Asie centrale l’utilisent également comme le Kazakhstan. La Moldavie, après la dissolution de l’URSS, s’est tournée vers l’écriture latine. Suite à la guerre, les Ukrainiens essayent de développer un alphabet latin pour se distinguer des Russes.

La Bibliothèque des langues - Portique

Inaugurée le jeudi 14 mars et intégrée au Service des bibliothèques de l'Université de Strasbourg, la Bibliothèque des langues - Portique est un centre de ressources documentaires dans le domaine des langues orientales, slaves et néo-helléniques : japonais, chinois, persan, arabe, russe et autres langues slaves, turc, études hébraïques, langues néo-helléniques anciennes et modernes et autres aires linguistiques d'Asie.

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