Par Marion Riegert
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Des livres symboles de résistance à l’Union soviétique

Douze livres, exemples de lutte politique, publiés sous le manteau ou à l’étranger en langue russe à l'époque soviétique, rares pour certains, ont pris place dans deux vitrines de la Bibliothèque des langues, jusqu’au 31 mai. Le tout, à l’occasion de l’exposition « Livres interdits. Livres impossibles. Livres évadés. »

Tout commence lorsque Riva Evstifeeva, enseignante russe au Département d'études slaves, s’attaque au tri des ouvrages du fond slave, en vue de son déménagement à la Bibliothèque des langues orientales du Portique, qui sera ouverte au public à l’automne 2023. Soit tout de même 4 000 livres. J’ai découvert de petits trésors comme une première édition complète en langue russe de "Docteur Jivago" de Boris Pasternak. Le festival Arsmondo a choisi cette année la thématique du monde slave, j’ai eu l’idée de proposer une exposition pour les valoriser, souligne Riva Evstifeeva, qui précise qu’une visite guidée aura lieu dans le cadre du festival, le 5 mai.

Mais pas question de parler de la beauté de la littérature russe. Le sujet a été choisi en fonction du contexte actuel, souligne la chercheuse, qui opte au côté de Maria Rentz, bibliothécaire, pour une exposition sur les formes de résistance intellectuelle au régime soviétique à travers les livres. Des textes dissidents dont les auteurs ont osé dénoncer le système soviétique inhumain, et sur les personnes qui ont diffusé des livres dans des situations où cela aurait pu leur coûter la vie ou la liberté.

Des livres russes édités à l’étranger

Et ce à travers quatre types d’ouvrages, panneaux explicatifs à l’appui réalisés par des étudiants de troisième année de licence Langues, littératures et civilisations étrangères et régionales. Les Samizdat, littéralement autoédition : Des livres tapuscrits ou manuscrits diffusés dans l’Union soviétique de manière illégale.

Les Tamizdat, le plus gros des ouvrages présentés. Des livres russes édités à l’étranger notamment grâce à des chercheurs en littérature russe occidentaux ou des descendants d’émigrés, qui lors de voyages en Russie repartaient avec des manuscrits ou des microfilms. La littérature de l’émigration russe et enfin, des éditions des textes étrangers en russe faites pour la diffusion clandestine en Russie.

Un ouvrage financé par les services secrets américains

L’occasion de découvrir les poèmes publiés par Marina Tsvetaeva, réfugiée en Europe. Elle y réélabore un conte folklorique, alors que le pouvoir voulait construire une nouvelle idéologie en rupture avec la tradition. En vitrine aussi, différentes éditions du Printemps à Fialta, de Vladimir Nabokov. Parmi lesquelles la première édition des années 1930 dans l’orthographe d’avant la révolution, publiée quand il habitait en France, dans une revue littéraire des émigrés russes.

Sans oublier, un exemplaire en russe de 1984 de George Orwell sur les dangers du totalitarisme, sans données d’édition. Il a été réalisé en Italie et financé par les services secrets américains, en vue d’être diffusé illégalement en Russie.

Histoires de livres évadés par Riva Evstifeeva

Requiem, Anna Akhmatova

Son ouvrage traite de la douleur des mères et des femmes de voir leurs enfants et leur mari détenus au goulag. Il est composé morceaux par morceaux, appris par cœur par ses amis, avant d’être brûlés. Un couple d’Américains se rend un jour chez des amis de l’autrice en Russie et récupère le texte mis sur papier pour l’occasion. Ils parviennent à le renvoyer aux Etats-Unis sous forme de courrier diplomatique, un mode d’envoi non contrôlé. Le texte est ensuite emmené en Allemagne par un professeur émigré de littérature russe collègue du couple, pour être publié.

Le premier cercle, Alexandre Soljenitsyne

L’ouvrage raconte la réalité d’une sharashka (un des laboratoires secrets soviétiques appartenant au système du goulag). Un livre d'un tel contenu n'aurait pas pu être imprimé en Union soviétique. L'histoire de la publication de ce texte en tamizdat est fascinante. Un jour, Vadim Andreyev, un poète russe installé à Paris fait le voyage en Union soviétique, pour préparer un éventuel retour au pays. Nous sommes dans le contexte de l’après Seconde Guerre mondiale, avec un enthousiasme européen envers l’Union soviétique, qui a contribué à la victoire contre les nazis. Sur place, le poète retrouve son frère, qui a passé dix ans au goulag et qui l'en dissuade. Andreyev rentre en France avec des microfilms du livre de Soljenitsyne dans sa poche, inconscient du danger. La police aux frontières fouille ses affaires mais pas ses poches se disant que quelque chose d’aussi dangereux ne pouvait pas être transporté ainsi.

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