Par Elsa Collobert
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Témoignages d'étudiants de retour de Russie

Lucie Gebus, Joshua Losinger et Baptiste Jault réalisaient leur troisième année d’études en Russie, quand l’agression contre l’Ukraine a débuté. D’abord désireux de poursuivre leur échange, ils se sont finalement résolus à quitter leur pays d’adoption, sous la pression de leur famille et de l’université. Tous espèrent pouvoir y retourner un jour…

« C’était la dernière fenêtre pour partir »

Joshua Losinger (23 ans), 3e année de licence Langues, littératures et civilisations étrangères ou régionales (LLCER) russe (Faculté des langues), réalisée au département langues étrangères de l’Université Lomonossov de Moscou

« J’ai adoré mon échange, commencé en septembre. La ville est immense, très cosmopolite, les personnes que je côtoyais étaient très ouvertes d’esprit, la vie pas chère. C’était très festif, avec une ambiance très internationale, des Irlandais, des Italiens... Certains y sont toujours, comme mon colocataire moldave. Mais certains Russes commençaient aussi à partir quand j’ai quitté le pays, hier [le 8 mars].

J’ai d’abord insisté auprès de mes parents pour rester, quand ils ont commencé à me demander de rentrer. Comme je n’ai pas de logement à Strasbourg, je suis accueilli par des amis.

Je ne me suis pas précipité pour retirer de l’argent, mais assez rapidement les files se sont allongées, les distributeurs vidés... Là, j’ai commencé à me dire "ok, c’est sérieux". On nous disait qu’on risquait de se retrouver coincés dans le pays pour des années si on ne partait pas maintenant… J’ai profité de la dernière fenêtre pour partir.

L’université était comme une bulle, il y avait des manifestations en centre-ville mais pas sur le campus. On entendait que si on participait, on risquait de se faire renvoyer. Il faut savoir qu’on était suivis à la trace, il fallait se signaler si on changeait de région, pour un week-end, par exemple.

On a quand même senti qu’avec l’éclatement du conflit, les Russes se sont sentis plus libres d’exprimer leurs opinions, notamment sur Instagram – du moins au début. C’était une bonne source d’information entre étudiants.

Tout ce que j’ai apprécié en Russie va beaucoup me manquer. J’avais déjà dû annuler un premier échange, à cause de la crise Covid. Maintenant, c’est la guerre qui écourte mon année à l’étranger. C’est frustrant. Mais je reste déterminé à y retourner… un jour, j’espère ! »

« Personne à l’université ne soutenait cette guerre »

Lucie Gebus (22 ans), 3e année de licence LLCER russe (Faculté des langues), réalisée au département philologie de l’Université Lomonossov de Moscou

« Je suis rentrée jeudi dernier [le 3 mars], une semaine après que la Russie ait envahi l’Ukraine. Les sanctions économiques internationales se sont très vite fait sentir, ma carte bancaire ne passait plus partout.

Mais avec les autres étudiants internationaux, on était confiants, on se disait que ce conflit ne pourrait pas nous empêcher de finir notre année. Finalement, j’ai décidé de partir, sur le conseil de mes parents et de ma colocataire française. L’avion du retour, avec escale à Doha, était beaucoup plus cher que l’aller !

Dans la micro-communauté de l’université, on ne sentait pas du tout d’animosité envers les étudiants étrangers. Les Russes sont très francophiles, on partage une culture littéraire commune ! C’est d’ailleurs ce qui m’a attiré pour étudier cette langue, depuis le lycée. J’avais pour projet, pourquoi pas, de m’installer dans le pays pour exercer comme guide touristique. Globalement, personne ne soutenait cette guerre – beaucoup de Russes sont d’origine ukrainienne, ont de la famille là-bas.

J’essayais de regarder les médias russes, YouTube, la télévision, pour m’imprégner de la langue et aussi me rendre compte de comment les choses étaient présentées, de leur point de vue. »

« Tout le monde a été surpris »

Baptiste Jault (20 ans), 3e année à Sciences Po Strasbourg, réalisée à l’Université d’État de Saint-Pétersbourg

« Je suis rentré lundi (7 mars). Les restrictions de l’espace aérien du Royaume-Uni et des États-Unis ont été l’élément déclencheur. Avant cela, j’envisageais de partir, mais je n’étais pas déterminé. Mes parents me mettaient la pression.

Je n’ai pas compté mes efforts et les moyens pour quitter le pays, avec le soutien de mes parents qui m’encourageaient à partir : d’abord un taxi jusqu’en Lituanie, puis l’avion.

Tout ce stress, l’incertitude ne pas savoir ce qui va se passer, sont retombés maintenant que je suis de retour en France et fixé sur mon sort. Je garde l’impression d’une opportunité manquée. A Saint-Pétersbourg, je vivais dans un dortoir d’étudiants internationaux, c’était aussi une très bonne ambiance.

Je vais continuer à suivre les cours, qui se déroulent en anglais, par visioconférence. C’est important pour valider ma 3e année à Sciences Po Strasbourg, qui se déroule à l’étranger pour tous les étudiants. 

Ma mère m’a demandé de ramener dans mes valises des journaux russes. Il y en avait un dont le titre m’a marqué : "La vérité est de notre côté" ! »

« La carte d’étudiant est un passeport international »

L'Université de Strasbourg comptait une vingtaine d'étudiants en échange en Russie, cette année universitaire (des accords existent également avec l'Ukraine, mais aucun étudiant n'y est parti, cette année) : Quatorze avaient déjà quitté la Russie au 9 mars, trois autres devaient partir le lendemain, précise Rachel Blessig, directrice des Relations internationales. Seul un Géorgien a souhaité rester sur place. Tous sont réintégrés dans leur département d'origine, pour finir l'année aussi sereinement que possible. Globalement, on a beaucoup appris de la crise Covid, pour réussir à gérer rapidement ce genre de situation d'urgence, identifier nos étudiants et entrer en contact avec eux. Les autorités de l'université sont en lien constant avec le niveau national, ministères des Affaires étrangères et de l'Enseignement supérieur, de la Recherche et de l'Innovation.

Plus généralement, l'Université de Strasbourg compte 114 étudiants ukrainiens, 350 russes dans ses rangs, sans compter les chercheurs originaires de l'Est de l'Europe. Nous disposons d'un Centre d’études slaves dynamique, ajoute Irini Tsamadou-Jacoberger, vice-présidente Europe et Relations internationales.

Face à l'émoi provoqué par l'agression russe de son voisin ukrainien, des actions de solidarité se sont rapidement mises en place, catalysées par l'université : 80 personnes dans la communauté universitaire se sont manifestées pour proposer des hébergements d'urgence aux réfugiés ; une adresse générique pour les étudiants ; une collecte de médicaments ; un fonds spécial d'aide en urgence de la Fondation. La cellule psychologique a été mobilisée par des étudiants russes de Strasbourg, ajoute Christophe de Casteljau, directeur général des services adjoint (DGSA)

L'esprit même de l'université est de promouvoir le dialogue et la coopération internationale, en formation et en recherche. Cela se manifeste notamment dans notre participation à des réseaux – Udice, Epicur (dont l'un des partenaires, l'université polonaise de Poznan, dispose d'une frontière avec l'Ukraine), a tenu à rajouter le président de l'Université de Strasbourg, Michel Deneken. Il ne s'agit pas de jeter l'opprobre sur les étudiants et les chercheurs russes, tout autant victimes. La carte d’étudiant est un passeport international, et doit le rester. Dans les prochains temps, nous souhaitons continuer à affirmer ce que nous sommes : transcender les frontières et faire vivre le débat.

Avant de partir...

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