Par Marion Riegert
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Un prix pour des recherches sur les liens entre douleur chronique et dépression

Ipek Yalcin et Michel Barrot, chercheurs à l’Institut des neurosciences cellulaires et intégratives (Inci – CNRS/Unistra) et membres de l’Ecole universitaire de recherche Euridol, ont reçu le prix Axel-Kahn 2024 de la Ligue contre le cancer. D’une valeur de 50 000 euros, il vient récompenser quinze années de travaux sur les liens entre douleur chronique et dépression.

Que la douleur puisse mener à un état dépressif peut sembler intuitif mais les mécanismes ne sont pas clairs. Est-ce que la douleur elle-même provoque un état dépressif ou est-ce qu’elle précipite un risque dépressif déjà présent ? Et comment une atteinte physique peut-elle entrainer un trouble psychologique ?, interroge Michel Barrot, qui précise qu’au début de ce siècle, peu de travaux existaient sur le sujet.

Pour débusquer les mécanismes moléculaires et cellulaires à l’œuvre, Ipek Yalcin développe chez le rongeur un modèle présentant une douleur chronique liée à une compression de nerf. Nous sommes une des trois premières équipes au niveau international à avoir réussi une telle modélisation des liens entre douleur et dépression.

Une modification du cortex cingulaire antérieur

Les études se font sur le temps long. Nous avons suivi les animaux durant cinq mois. Cette histoire pathologique a une temporalité, l’état dépressif et l’anxiété se développent au cours du temps, souligne Ipek Yalcin, qui évoque l’apparition des comportements de type dépressif dans le modèle. C’est-à-dire une souris qui prend moins soin d’elle-même, a moins d’appétences pour certaines activités ou récompenses…

Des différences entre souris mâles et femelles

Les scientifiques ont ensuite identifié dans le cerveau une hyperactivité et des modifications du cortex cingulaire antérieur sous-tendant les symptômes anxiodépressifs. Cette zone corticale est impliquée dans la dérégulation émotionnelle, mais aussi dans la perception aversive de la douleur. Une de nos hypothèses, c’est que c’est cette composante désagréable de la douleur qui va avec le temps faire basculer la personne vers un état plus négatif et changer la façon dont elle interprète le monde, poursuit Michel Barrot.

Ils notent également des différences entre souris mâles et femelles. Chez ces dernières, l’état dépressif dure plus longtemps. En revanche, nous n’avons pas noté d’anxiété dans notre modèle, mais nous devons encore vérifier si cela n’est pas dû à des tests pensés pour les sujets mâles, explique Ipek Yalcin.

Une dissociation entre intensité de la douleur et conséquences émotionnelles

Ces données sont croisées avec des données humaines grâce à l’accès à des banques de cerveaux issus de donneurs. Cela nous a permis de regarder chez des patients suicidés les modifications présentes. Nous avons vu que certaines d’entre elles étaient semblables à celles de notre modèle animal, note Ipek Yalcin, qui évoque également un projet d’analyse d’IRM de souris avec le Laboratoire des sciences de l'ingénieur, de l'informatique et de l'imagerie (ICube – CNRS/Unistra/Insa Strasbourg/Engees) qui seront comparées avec des données d’IRM humaines.

Un projet pour s’intéresser à l’après traitements dans ce contexte cancéreux

De manière plus générale, les scientifiques précisent que les différents types de douleurs pourraient amener par des voies différentes aux mêmes dysfonctionnements cérébraux. Il y a également une dissociation entre intensité de la douleur et conséquences émotionnelles. Par exemple, pour les patients atteints de fibromyalgie, même si la douleur peut être d’intensité moyenne, 80 % d’entre eux présentent des troubles dépressifs. Et une fois la douleur partie, l’état dépressif ne s’arrête pas forcément, souligne Ipek Yalcin, qui précise que pour les cancers et leur traitement qui peuvent être très douloureux, peu d’études existent sur les conséquences à long terme. Un projet pour s’intéresser à l’après traitements dans ce contexte cancéreux vient d’être lancé par son équipe.

Le prix Axel-Kahn 2024

Le prix Axel-Kahn 2024 a récompensé Michel Barrot, Ipek Yalcin, Sophie Laurent et Serge Perrot dans différentes catégories. Des scientifiques dont les travaux illustrent la richesse des expertises nécessaires pour appréhender, comprendre et traiter efficacement les douleurs liées aux cancers.

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