Viser les corrupteurs pour lutter contre la corruption
Pour combattre la corruption avec efficacité, il faut en comprendre les ressorts. Afin de sensibiliser à ce champ de recherche peu investigué en France et proposer des actions concrètes, l’Institut de lutte contre la corruption Ethics generation en partenariat avec le Groupe de recherches-actions (Grasco) de l’Unité mixte de recherche Droit, religion, entreprise et société (Dres – CNRS / Université de Strasbourg) organise un colloque « La lutte contre les corrupteurs, un défi pour le 21e siècle ». Explications avec Chantal Cutajar, chercheuse au Dres et responsable scientifique de l’évènement.
Pourquoi choisir de cibler les corrupteurs ?
Il n’est pas nécessaire, en droit, de démontrer l’existence d’un pacte de corruption entre les deux acteurs pour sanctionner les comportements. Ainsi, le fait pour le corrupteur de proposer à un fonctionnaire ou un élu par exemple, une somme d’argent ou tout autre avantage pour qu’il effectue un acte de la fonction est punissable en lui-même, même en cas de refus de ce dernier. Nous avons souhaité mettre le focus sur le corrupteur parce que très souvent, le corrompu n’existe que parce qu’il existe un corrupteur. En étudiant la corruption sous le prisme du corrupteur, nous mettons en évidence le rôle prépondérant des groupes d’intérêts et des grandes entreprises qui ont érigé la corruption en système économique dans le seul but de maximiser leurs profits. Cela a parfaitement été mis en évidence notamment dans les affaires Siemens, Alstom ou encore Airbus. Ce phénomène touche tous les secteurs de la vie économique même celui de la santé.
La dimension internationale : obstacle à la lutte contre les corrupteurs ?
Les moyens de lutter contre le fléau sont encore trop circonscrits aux États. Les sommes versées aux corrompus doivent être détournées des sociétés et versées sur des comptes sans que l’on puisse en identifier les bénéficiaires effectifs. Pour ce faire, les opérateurs détournent des techniques juridiques licites à des fins illicites telles que la constitution de sociétés écran administrées par des prêtes-noms, à l’image par exemple des paradise papers. Problème, la communauté internationale peine à neutraliser ces sociétés « off shore ».
Détection et suivi des affaires de corruption, quel rôle pour les journalistes ?
Les collaborations internationales de journalistes se sont accélérées à mesure que se multipliaient les leaks, terme qui désigne les fuites massives de données informatiques. Le volume d’informations est tel qu’un média seul ne pourrait pas l’exploiter. Le Consortium international des journalistes d’investigation a fédéré des centaines de médias répartis sur toute la planète pour enquêter sur les paradis fiscaux. C’est ainsi que sont sorties les Panama Papers (2016) ou encore les Implant Files (2018). En 2015, le réseau European Investigative Collaborations (EIC) a été formé autour de Mediapart, du Spiegel et du Soir. Le réseau a enquêté sur le marché des armes, les sociétés offshore à Malte et les Football Leaks qui ont mis en évidence fraude fiscale, contournement des règles financières et corruption des instances dirigeantes.
Quelles solutions pour agir ?
Détection, prévention, répression, il faut agir sur plusieurs terrains. Les entreprises doivent se doter d’une véritable politique anticorruption. Cette politique est déléguée à un responsable de la conformité anticorruption indépendant qui doit l’incarner. En cas de corruption avérée, les entreprises s’exposent à des sanctions financières, civiles, pénales, disciplinaires et administratives, des pertes d’activité, et des atteintes à l’image qui devraient les dissuader de passer à l’acte.
La sensibilisation et l’information de la société civile doit être une priorité
Les efforts doivent également porter sur la prévention, cela nécessite qu’il y ait une véritable désapprobation sociale de la corruption ce qui est loin d’être le cas en France. Cette désapprobation passe par l’exemplarité à tous les niveaux et dans toutes les sphères de la société et particulièrement les dirigeants, les élus et toutes celles et ceux qui sont en position de prendre des décisions. Elle passe aussi par la sensibilisation et l’information de la société civile qui doit être une priorité.
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Rendez-vous le 25 novembre à l'amphithéâtre de la chambre de commerce et d'industrie campus de Strasbourg. Tout le programme.
Un partenariat entre l’Université de Strasbourg et l'association Ethics generation
Ce colloque est le point de départ d’un important projet qui vise à mobiliser l’ensemble des champs de la recherche universitaire, dans les domaines de la sociologie, de la philosophie, de la psychologie, de l’économie et de la gestion, des sciences politiques et du droit pour mieux lutter contre la corruption. Et ce à travers un partenariat entre l’Université de Strasbourg et Ethics Generation, une association qui rassemble des personnalités venues de champs et d'horizons divers : avocats, magistrats, universitaires....
Différentes actions sont prévues comme la création d’un prix annuel du meilleur mémoire de master portant sur le thème de la corruption dans tous les champs de la recherche. L’accueil au sein de Ethics generation d’un doctorant en Convention industrielle de formation par la recherche (Cifre) qui rédigera une thèse sur un sujet en lien avec la corruption. Sans oublier de sensibiliser les lycéens à travers la conception d’une mallette de formation à la prévention de la corruption. Ou encore la conception à destination des étudiants d’un programme de sensibilisation à la prévention des conflits d’intérêt. Ce programme sera proposé aux présidents d’Université pour qu’il soit inscrit dans le cursus de formation des étudiants.
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