Par Elsa Collobert
Temps de lecture :

Une chaire franco-québécoise dédiée à la liberté d'expression

Tout juste créée par le CNRS et les Fonds de recherche du Québec (FRQ), une chaire en réseau visant à fédérer les travaux sur la question ambitionne d'examiner l'épineuse question de la liberté d'expression au prisme de différentes disciplines scientifiques (sociologie, droit, science politique, linguistique...). Hanane Karimi, spécialiste des questions religieuses au Laboratoire interdisciplinaire en études culturelles (Lincs, Unistra/CNRS), fait partie des huit chercheurs et chercheuses retenus par l'ambitieux programme de cinq ans, de part et d'autre de l'Atlantique.

A l'origine de la création de la chaire franco-québécoise dédiée à la liberté d'expression, on trouve une volonté politique. Celle de deux hommes, Jean Castex, Premier ministre français jusqu'en mai 2022, et son homologue québécois, François Legault.

Une décision de création certes politique, avec un fort enjeu lié à la démocratie, mais nous conservons une grande marge de liberté et d’autonomie en tant que chercheurs, avertit Hanane Karimi. Co-financée par les deux partenaires, la chaire est pilotée par le CNRS, côté français ; par les Fonds de recherche du Québec (FRQ) côté québécois.

Démocratie, création, censure

Établie à partir des axes de recherche des huit chercheurs sélectionnés - quatre pour la France, quatre pour le Québec (lire encadré) – le programme, élaboré par un comité de pilotage et précisé avec les chercheures de la chaire, comprend aussi bien les thématiques de la démocratie et des droits fondamentaux, que la création et la censure, ou encore les croyances religieuses et les identités. C'est sur ce dernier axe, dont elle s'est fait une spécialité, qu'Hanane Karimi travaillera main dans la main avec son homologue québécoise, Solange Lefebvre, de l'Université de Montréal.

Actualité brûlante

En France comme au Québec, la liberté d'expression reste un sujet d'actualité brûlant. L'assassinat de l'enseignant de lycée Samuel Paty en octobre 2020, après qu'il a montré à ses élèves des caricatures de Mahomet, est encore dans tous les esprits. Cela croise d'autres questions, celle du droit au blasphème, des effets du terrorisme sur la liberté d’expression et celle de la laïcité également.

Cela croise les questions du droit au blasphème, des effets du terrorisme sur la liberté d’expression, de la laïcité...

Toute critique est-elle laïque ? Peut-on tout dire sous couvert de liberté d'expression ? Pour toutes ces questions, je n'ai pas forcément de réponse. Ce sera notre rôle de scientifiques de les examiner au prisme de nos différentes expertises et de nos disciplines, d’échanger avec nos homologues québecois. Dans nos sociétés européennes, question religieuse et identités sont souvent fortement imbriquées, reprend Karimi Hanane, qui s'est notamment penchée sur la question du port du voile au regard du féminisme et de la liberté de choix. Certes, le droit dispose d'outils quant à ces questions (blasphème, incitation à la haine, etc.) mais il y a un décalage avec ce qui est perçu dans le débat public.

Décentrer le regard

Mettre nos regards en miroir

En raison de son héritage philosophique, les questions qui se posent au Québec font écho à celles de la France. Cette chaire binationale et transdisciplinaire ouvre donc des perspectives, en faisant dialoguer des enseignants-chercheurs de contextes totalement différents. Elle va nous permettre de mettre nos regards en miroir, de comparer, de croiser les savoirs, d'examiner des impensés également. Ce qu'on n'aurait pas fait dans un cadre normatif allant de soi pour nous. Hanane Karimi y voit aussi l'opportunité de poser la question des libertés académiques, de la censure et même des ressorts de l'auto-censure. Ou encore de décentrer le regard, en ouvrant la perspective aux pays extra-européens : identifier, par exemple, dans des régimes non démocratiques et illibéraux, les points de bascule.

Concrètement, la chaire est mise en route en janvier 2023. Par son format, elle nous invite à la dispute académique, à confronter nos points de vue, qui peuvent être aux antipodes et qui nourriront nos débats. » Elle imagine déjà « un grand événement à Strasbourg, ouvert à la société civile. A l'issue du projet, un colloque international sera organisé. Mais avant cela, durant cinq ans, vont se succéder séminaires, cours communs (la plupart en visio) et événements inter-axes. Cinq ans, cela nous laisse du temps pour faire quelque chose de bien.

Les quatre axes de la chaire et ses titulaires

Axe 1 Liberté d'expression, démocratie et droits humains
Axe 2 Liberté d'expression, croyances religieuses et identité
Axe 3 Savoirs, sciences et liberté d'expression
Axe 4 Censure et création

En France : Anna Arzoumanov (Sorbonne Université), Thibaud Boncourt (Université Lyon 3), Karimi Hanane (Université de Strasbourg), Thomas Hochmann (Université Paris Nanterre)

Au Québec : Mathilde Barraband (Université du Québec à Trois-Rivières), Solange Lefebvre (Université de Montréal), Maryse Potvin (Université du Québec à Montréal), Pierre Rainville (Université Laval)

Catégories

Catégories associées à l'article :

Changer d'article