Tracer les contours juridiques de la migration temporaire de travail en Europe
À l’occasion de la conférence mi-parcours du projet European Birds of Passage, financé par le Conseil européen de la recherche (ERC) et porté par le juriste Marco Rocca, l’équipe de recherche du laboratoire Droit, religion, entreprise et société (Dres - Unistra/CNRS) s’est réunie le 30 juin dernier au Parlement européen pour faire le point sur un sujet sensible : la migration temporaire de travail dans l’Union européenne.
Lancé en 2022, ce projet de recherche interdisciplinaire s’inscrit dans le cadre de l’Institut thématique interdisciplinaire Fabrique de la société européenne |Makers et réunit cinq spécialistes, deux doctorantes en droit, deux post-doctorants en économie quantitative et Marco Rocca, chercheur en droit social européen au laboratoire Dres.
Leur objectif ? Interroger la manière dont le droit européen encadre ces formes de migration temporaire. Un terme qui regroupe une diversité de situations : travailleurs saisonniers dans l’agriculture, ouvriers du bâtiment, aides à domicile, jeunes au pair ou encore chauffeurs routiers. Autant de figures du travail temporaire qui occupent une place stratégique dans l’économie européenne mais dont les statuts sont souvent précaires.
Un droit en décalage avec la réalité du terrain
Nous étudions la manière dont le droit définit la migration temporaire
, explique Marco Rocca. Et ce que l’on observe, c’est à quel point ces cadres juridiques sont parfois éloignés de la réalité du terrain
. C’est ce décalage que le projet cherche à documenter en croisant trois approches : l’analyse juridique, la collecte de données empiriques et leur confrontation.
Pour cela, l’équipe a mené des terrains en Espagne, en France et en Irlande, multipliant les entretiens, les études de cas et les analyses de données parfois inattendues comme l’usage des permis de conduire internationaux. Notre objectif est de comprendre comment les travailleurs vivent leurs parcours migratoires et comment ils se positionnent face au droit
, souligne le chercheur.
Des données parfois contradictoires
Les résultats intermédiaires sont sans appel : les données disponibles sont éparses, parfois contradictoires. En France, par exemple, les chiffres relatifs au travail saisonnier varient fortement selon les sources, rendant difficile toute consolidation. En 2023, Eurostat recense 37 354 permis de travail saisonnier délivrés, majoritairement pour le secteur agricole avec seulement 10 % de femmes. En Espagne, les chiffres sont moindres (12 554), mais à l’inverse très féminisés (90 % de femmes).
Autre exemple marquant : dans le secteur du transport routier, les données de l’Institut de sécurité sociale polonais révèlent en 2023 un volume impressionnant de 230 688 travailleurs détachés dont 88 584 originaires de pays tiers. Ces trajectoires complexes montrent à quel point la ligne entre migration intra-européenne et extra-européenne est poreuse. D’un point de vue juridique, les statuts diffèrent mais dans la réalité, les conditions de vie et de travail sont très similaires.
Un compromis entre fermeture politique et impératifs économiques
Nous souhaitons proposer des pistes de réflexion et de critique du droit
, poursuit Marco Rocca. En effet, dans bien des cas, les travailleurs temporaires cotisent à des régimes sociaux sans bénéficier de protections effectives. Ils sont essentiels à certains secteurs, comme l’agriculture, le transport ou le care, tout en étant maintenus dans des régimes juridiques d’exception.
Ce paradoxe révèle une tension centrale des politiques migratoires européennes : un besoin structurel de main-d’œuvre temporaire face à une volonté politique de limitation de l’immigration. Le travail temporaire apparaît comme un compromis entre fermeture politique et impératifs économiques. C’est dans cette tension que s’inscrit notre recherches
, conclut Marco Rocca, fasciné par ce constat.
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