Restes humains de Namibie et de Tanzanie, le conseil scientifique rend son rapport
Suite à deux demandes émanant de Tanzanie et de Namibie, l’Université de Strasbourg a procédé à un récolement des pièces africaines de ces deux pays, détenues dans les collections de son Institut d’anatomie. Le conseil scientifique mis en place pour l’occasion vient de rendre son rapport.
Dès 2020 et en 2023, deux demandes d’information concernant des pièces de Namibie et de Tanzanie, sont envoyées respectivement par une collectivité territoriale du Moshi District Council de République-Unie de Tanzanie et par l’Ovambanderu and Ovaherero Genocide Foundation en Namibie. Pour y répondre, Michel Deneken, président de l’Université de Strasbourg, met en place un conseil scientifique composé d’une dizaine de chercheurs experts (médecine, droit, ethnologie, sociologie, histoire et civilisation africaines…) en juin 2023.
Parmi eux, Michel Van Praët, ancien conservateur général à l’Inspection des patrimoines, et trois membres de l’Université de Strasbourg, Tricia Close-Koenig, historienne de la médecine, Christian Bonah, professeur d’histoire de la médecine, et Philippe Clavert, professeur d’anatomie et directeur de l’Institut d’anatomie normale, sont plus particulièrement en charge du récolement, c’est-à-dire de l’inventaire et de la vérification des pièces.
Des collections d’anthropologie physique et médicale
Ces dernières font partie des collections d’anatomie anthropologique de l’Institut d’anatomie constituées à la fin du 19e siècle et au début 20e à partir de dons à la Kaiser-Wilhelms-Universität, pendant la période d’annexion de l’Alsace. A cette période, la plupart des universités constituaient des collections, l’idée étant d’avoir des crânes représentatifs de toutes les populations du monde
, explique Tricia Close-Koenig. On ne peut pas parler de collections à caractère raciste, il s’agit de collections d’anthropologie physique et médicale
, complète Michel Van Praët.
Les scientifiques ont étudié ces restes humains patrimonialisés durant une semaine complète en novembre 2023. Nous avons installé une petite table de travail dans la réserve de l’Institut d’anatomie
, raconte Tricia Close-Koenig. Les catalogues et les étiquettes sont vérifiées et un tableau Excel créé. Il y a environ 3 000 crânes dans cette collection. Nous avons regardé les quelque 120 pièces africaines en nous focalisant sur celles provenant de Namibie et de Tanzanie, deux pays sous protectorat allemand durant leur période d’acquisition
, explique la chercheuse qui note que les collections sont relativement bien rangées et étiquetées.
Des crânes récupérés dans une bananerai abandonnée
Pour la Tanzanie, 32 individus sont recensés : 31 crânes ainsi qu’un squelette comprenant son crâne conditionné séparément. Il s’agit de pièces entrées dans la collection en 1897, provenant d’un don du Dr August Widenmann (1865-1949), un médecin allemand. En nous appuyant notamment sur une publication de ce médecin, nous avons pu les identifier et vérifier qu’elles correspondaient toutes à leur étiquette sauf une.
La majorité des crânes ont été récupérés alors qu’ils étaient exposés, selon la tradition locale, dans une bananerai abandonnée. Il y a aussi le crâne d’un chef de tribu recherché par les Allemands dont la tête leur avait été amenée pour prouver son meurtre.
Pour la Namibie, deux crânes sont rentrés dans la collection en 1903, ce qui exclut qu’ils proviennent du génocide qui débute en 1904
. Il s’agit d’un don du Dr Carl Christian Sick (1856-1929), médecin à Hambourg qui a effectué ses études à Strasbourg et y a occupé un poste d’assistant d’anatomie.
La restitution n’est pas prévue à ce jour
Et maintenant ? L’université a informé les demandeurs de ces résultats et le dialogue a déjà été établi avec la Tanzanie, par l’intermédiaire de l’ambassade de France
, souligne Mathieu Schneider, vice-président Culture, science-société et actions solidaires de l’Université de Strasbourg, qui préside le conseil scientifique. La restitution n’est toutefois pas prévue à ce jour. Les collections universitaires sont propriété de l’Etat français. Conformément à une nouvelle loi mise en place le 26 décembre 2023, la restitution ne pourra s’envisager que si un Etat en formule la demande à la France, ce qui n’est pas le cas actuellement.
L’université entend prendre sa part dans un dialogue interculturel, car il est important d’inclure cette composante africaine dans notre histoire
, précise tout de même Mathieu Schneider qui évoque un projet de recherche visant à contextualiser ces restes humains ainsi que d’autres objets collectés à la même époque. Dans une démarche d’anticipation, l’université souhaite également poursuivre ce travail de récolement, en se penchant sur les pièces provenant du Cameroun.
- Retrouvez le communiqué de presse et le rapport complet
L’Université de Strasbourg s'engage suite au rapport de récolement
Différents engagements ont été pris par l’Université de Strasbourg suite au travail mené par le conseil scientifique :
- Prendre en compte les recommandations relatives au catalogage et étiquetage des pièces étudiées lors du récolement.
- Engager un travail de recherche pour mieux établir les conditions de collecte des restes humains africains présents à l’Université de Strasbourg.
- Si les moyens sont disponibles, étendre le travail de récolement aux autres collections de restes humains coloniaux.
Une première étape importante a été franchie avec ce récolement. Elle traduit la volonté forte de l’Université de Strasbourg de se confronter à son histoire et de traiter de manière digne et éthique les restes humains qu’elle conserve
, souligne Mathieu Schneider.
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