Par Marion Riegert
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Les expériences de désindustrialisation : « Redonner la parole aux ouvriers »

Pour redonner une légitimité et une place dans le discours historique aux ouvriers et ouvrières des usines qui ont fermé, des chercheurs de l’Université de Strasbourg et de l’Université de Bochum en Allemagne s’intéressent aux expériences de désindustrialisation. Le tout, à travers le projet franco-allemand d’une micro-histoire comparée et transnationale DesinEE*.

Ce n’est pas un projet nostalgique, nous souhaitons donner une visibilité aux acteurs, ouvriers, ouvrières, syndicalistes et leurs familles, qui ont vécu cette expérience de désindustrialisation à différents niveaux, souligne Emmanuel Droit, chercheur au Laboratoire interdisciplinaire en études culturelles (Lincs – CNRS/Unistra). Et ce depuis le début des années 1960 à nos jours. Une période qui permet d’inclure les deux Allemagnes.

Un repli sur la sphère privée

Pour ce faire, chaque chercheur du projet aura en charge une ville allemande et une française. Des bassins industriels ou des villes industrielles moyennes qui sont aujourd’hui des bassins d’emploi post-industriels. J’étudierai pour ma part Lunéville et Zeitz, une ville industrielle de la Saxe-Anhalt, aujourd’hui en crise avec les stigmates des anciennes usines.

Différents aspects, économiques, socio-politiques et culturels, seront interrogés. Par exemple, l’impact de la désindustrialisation en termes de liens sociaux. Notre hypothèse étant qu’il y a une reconfiguration du lien social avec un phénomène de repli sur la sphère privée. Le niveau culturel : Qu’est-ce qui se passe quand les activités de loisirs financés par l’entreprise n’ont plus de financements ? Ou encore l’impact de la désindustrialisation sur les votes. Les bassins sont devenus largement des points d’ancrage de l’extrême droite, que ce soit en France ou en Allemagne.

Des enquêtes orales

Côté sources, les chercheurs vont s’appuyer sur les archives des entreprises, de la presse locale ou des autorités publiques. Nous allons également produire des enquêtes orales associant entretiens individuels et collectifs avec des ouvriers et des ouvrières. Il faudra notamment remonter la piste de ceux qui sont partis, souligne Emmanuel Droit.

Revenir sur l’ancrage de l’extrême droite dans ces régions

Débuté le 1er octobre pour trois ans, le projet connaîtra une valorisation sous la forme d’une exposition photographique itinérante permettant de montrer ce que sont aujourd’hui ces villes, mais il débouchera aussi sur des publications individuelles et collectives. Nous souhaitons montrer les spécificités France/Allemagne. Sans oublier de revenir sur l’ancrage de l’extrême droite dans ces régions et ainsi réfléchir dans notre temps aux conséquences de ce processus de désindustrialisation. Chaque semestre, les chercheurs se retrouveront pour échanger sur leurs trouvailles avec un premier workshop prévu à Strasbourg début février 2023.

* La désindustrialisation en Allemagne et en France : expériences et émotions des années 1960 jusqu’à nos jours. The Unmaking of the Working Class?

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