Par Marion Riegert
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Kenzaburo Ôé, « le Pantagruel des lettres japonaises s’est éteint »

Kenzaburo Ôé est mort le 3 mars 2023 à 88 ans. Eclairage sur le parcours du lauréat du prix Nobel de littérature de 1994, avec Antonin Bechler, chercheur au sein du Groupe d'études orientales, slaves et néo-helléniques (Geo – Unistra), spécialiste de l’écrivain.

Avec une trentaine de romans à son actif et presque autant de recueils de nouvelles et d’essais, Kenzaburo Ôé, c’est un peu le Pantagruel des lettres japonaises qui s’est éteint. Il incarne l’histoire culturelle, politique, sociale… de son pays depuis la Seconde Guerre mondiale à nos jours. Il avait une capacité à confronter les univers et les motifs a priori opposés pour donner une image globale du Japon contemporain, souligne Antonin Bechler. Ce dernier étudie l’écrivain japonais depuis sa thèse, en 2011, et l'a rencontré à plusieurs reprises.

Enfance

Kenzaburo Ôé nait en 1935 sur l’île de Shikoku, dans l’ouest du Japon. Issu d’une famille ancienne d’exploitants forestiers, il vit la Seconde Guerre mondiale jeune, ce qui se traduit par un système d’éducation violent destiné à préparer les enfants à aller mourir à la guerre. 1945, des bombes nucléaires s’abattent sur Hiroshima et Nagasaki. L’empereur, jusqu’alors présenté comme une figure divine, capitule. Un choc pour les populations, dont le système de valeurs s’effondre. Avec l’arrivée des Américains, la démocratie s’installe. Ôé épouse le pacifisme, qui est alors inscrit dans la constitution et consiste en un renoncement à la guerre et à maintenir des forces armées. Amateur de littérature étrangère, il rejoint Tokyo pour étudier la littérature française.

Premiers pas d’écrivain

Années 1950, les affaires politiques se compliquent. Le parti au pouvoir tente de remettre en cause le pacifisme, avec notamment la mise en place des forces d’autodéfense. Un bouleversement pour Kenzaburo Ôé qui commence à écrire des nouvelles, des récits désabusés comme le Faste des morts. En 1958, il rédige son premier roman, Arrachez les bourgeons, tirez sur les enfants.

Un groupe d’enfants envoyés dans un village durant la Seconde Guerre mondiale, où ils subissent la dureté des habitants

Il raconte l’histoire d’un groupe d’enfants envoyés dans un village durant la Seconde Guerre mondiale, où ils subissent la dureté des habitants qui les abandonnent sur fond d’épidémie. Ouvrage pour lequel il reçoit le prestigieux prix Akutagawa. Il signe le début de carrière de Kenzaburo Ôé, qui devient l’enfant terrible des lettres japonaises.

Passage à vide

Les années 1960 sont marquées par la violence politique. C’est l’époque où un jeune militant d’extrême droite se tue après avoir assassiné le chef du Parti socialiste japonais. L’écrivain lui consacre un récit, Seventeen / Mort d'un jeune militant, dans lequel il tente de se mettre à sa place, ce qui lui vaut des menaces de l’extrême droite. Ses écrits sont de plus en plus sombres et durs, c’est une période de creux pour lui.

Le succès à nouveau au rendez-vous

En 1963, Kenzaburo Ôé a un fils handicapé. Une naissance dont l’auteur fait un roman, qui traite notamment de la question de l’euthanasie. Au même moment, Ôé part à Hiroshima, où il rencontre un médecin qui soigne les victimes d’irradiations. Il les interroge et en tire un essai, "Notes de Hiroshima", en 1965. Ces deux ouvrages, succès critiques et publics, relancent sa carrière. En 1994, il obtient le prix Nobel de littérature, devenant le deuxième prix Nobel japonais. A cette période, son fils étant parvenu à être autonome et à devenir pianiste, Kenzaburo Ôé décide d’arrêter d’écrire.

Fin de carrière

Le décès de plusieurs proches va le ramener à la plume. A partir de 1996, il rédige des récits  d’autofiction où il se met en scène dans les univers de ses romans précédents. Il devient alors difficile de faire la part des choses entre les parties autobiographiques et la fiction.

Il donne au Premier ministre de l’époque la pétition aux 10 millions de signatures pour l’arrêt du nucléaire civil

Le dernier élément marquant pour l’écrivain est la catastrophe de Fukushima, en 2011. Figure morale très engagée pour le public, il apporte sa voix au mouvement de protestation contre le nucléaire. C’est lui qui donne au Premier ministre de l’époque la pétition aux 10 millions de signatures pour l’arrêt du nucléaire civil. Il publie son dernier roman en 2013, In Late Style, un titre en hommage à son ami le penseur palestino-américain Edward Saïd.

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