Par Philippe Ruhlmann
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GIS Genre : Trois questions à Sandra Boehringer

La commission de la recherche a validé à l’unanimité la prorogation de la convention avec le GIS Institut du genre, un groupement d’intérêt scientifique soutenu par le CNRS. Le GIS compte une quarantaine de partenaires institutionnels. Sa mission est de structurer, soutenir et visibiliser les recherches sur le genre et les sexualités menées en France. Entretien avec Sandra Boehringer, maîtresse de conférences à la Faculté des sciences historiques de l’Université de Strasbourg, et présidente du comité directeur du GIS Institut du genre.

Quelles actions ou projets de recherche de l'Université de Strasbourg l'Institut du genre a-t-il soutenus ? Et plus globalement, quelles sont les collaborations internationales ou interdisciplinaires les plus marquantes du GIS ?

L’Université de Strasbourg est membre du GIS Institut du genre depuis sa création en 2012. De nombreux projets de notre université ont été retenus par le GIS depuis cette date, et il est vrai que le dernier mandat (2020-2024) a vu davantage d’activités scientifiques soutenues, en raison du développement des études de genre au sein de notre université et d’une meilleure visibilité des actions du GIS : mobilité internationale pour de jeunes chercheurs, soutien à la traduction, prix de thèse et de master, écoles d’été, aide au financement de projets de recherche etc.

Les thèmes des travaux soutenus par le GIS et développés par les doctorantes et doctorants et les chercheures et chercheurs dans notre université sont d’une grande variété : travaux sur les politiques publiques en matière d’emploi, sur les trajectoires des personnes à mobilité réduite, sur les personnes aidantes ou encore sur la dénonciation des violences sexuelles, thèse sur le travestissement masculin au Japon, thèse sur les mémoires d’esclaves noires dans le roman antillais et latino-américain, mémoire sur la prise en charge des conjoints violents, etc. 

Un exemple représentatif de la pluridisciplinarité promue par le GIS est le séminaire « Corps vulnérables », qui a fait se rencontrer, plus de quatre années à Strasbourg, des chercheurs et des étudiants de psychologie, d’histoire, de médecine et d’éthique sur les questions contemporaines liées au corps, au genre et à la sexualité. 

Un autre aspect très important des actions du GIS est la diffusion nationale et internationale des informations : le site, les réseaux sociaux (Instagram, Facebook, LinkedIn), la newsletter mais aussi un podcast très écouté, Faire genre (sur Binge Audio), donnent une réelle visibilité aux recherches soutenues par le GIS.

À titre personnel, qu'est-ce qui vous a motivée à vous engager dans le GIS Institut du genre ?

Je suis spécialiste des sociétés grecque et romaine de l’Antiquité, et mes travaux portent sur la construction sociale et culturelle des catégories sexuelles. Dans ce contexte, j’ai très vite mesuré l’importance de l’outil contemporain du genre : partager nos questions et nos méthodes de travail entre historiennes et historiens, anthropologues, littéraires et sociologues est devenu incontournable. Ces thématiques, je tiens à le préciser, ne sont pas uniquement une question de connaissance ou d’érudition : avec Claude Calame, anthropologue des mondes anciens, j’ai animé à l’École des hautes études en sciences sociales (EHESS), un séminaire sur la façon dont la comparaison anthropologique avec des mondes éloignés permet de penser et d’agir dans le monde actuel.

En tant qu’élue (Refonder) à la commission de la recherche, j’ai pris conscience de l’importance du soutien à la recherche et de la nécessaire visibilisation de celle-ci. Or nous sommes nombreuses et nombreux dans les laboratoires ou les départements à travailler en histoire des femmes et en études de genre, à mener des recherches sur les discriminations ou sur les questions d’émancipation mais, pour l’heure, aucune structure interne ne nous met en lien. Nous sommes également un certain nombre à dispenser des enseignements sur ces questions (culture et droit, genre, études LGBTQI+, intersectionnalité, histoire des luttes pour l’égalité), mais les étudiantes et les étudiants n’ont que peu connaissance de l’ampleur et la variété de cette offre, alors même que leur demande est forte, et que cela peut jouer dans le choix de leur université.

Selon vous, comment évolueront les études de genre dans les années à venir ?

Le genre (gender) est un outil d’analyse transdisciplinaire dans son origine même : né dans le contexte médical des années 1950 et 1960 aux États-Unis, il a fait l’objet d’une re-sémantisation dans le champ des sciences humaines par l’historienne Joan Scott, en 1985, « catégorie d’analyse utile » pour penser les différenciations, les hiérarchisations, les dispositifs de pouvoir entre hommes et femmes – s’ajoutant ainsi au critère de la classe sociale. Sciences humaines et sciences (dites) exactes y recourent désormais dans une perspective intersectionnelle : classe, origine, langue, sexualité, handicap, genre sont autant d’éléments à prendre en considération pour une étude des sociétés ou pour comprendre divers biais dans notre façon de mener des recherches. 

Limité, il y a vingt ans, à des programmes isolés et parfois ignorés, le genre, en France, s’est enfin « dé-disciplinarisé » – pour reprendre une expression de Michel Foucault – et s’est déployé de façon rapide : les thèses, les HDR et les masters qui intègrent cette approche sont extrêmement nombreux désormais ; des formations (masters, programmes du Capes et l’agrégation) intègrent cet aspect de la recherche, et des structures organisées (laboratoires, programmes) émergent et accueillent un nombre croissant de chercheurs. L’Université de Strasbourg a tout à gagner à soutenir et à promouvoir ces recherches, reconnues par le Haut conseil de l’évaluation de la recherche et de l’enseignement supérieur (Hcéres), l’Institut universitaire de France (IUF), l’Inserm et divers programmes européens. 

Le genre, comme outil épistémologique, traverse aujourd’hui l’ensemble des enjeux et des problématiques sociales et politiques. Les plus connues sont les questions d’égalité femmes-hommes, mais tout aussi importantes sont les questions d’environnement, d’écologie, de migration, d’éthique ; elles mettent au travail les chercheures et chercheurs en médecine, en sciences de la vie, en neurobiologie, en économie, en Staps, en droit, en sciences humaines, en sciences sociales, en langues, arts et littératures, en sciences politiques. Un récent colloque au Collège de France « Genre et sciences » met à l’honneur cette pluridisciplinarité. Les études de genre ne sont pas limitées à une discipline : elles les traversent et, parfois, les reconfigurent. 

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