Par Edern Appéré
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Génération Charlie : « Aujourd’hui, enseigner est devenu aussi blasphématoire pour certains que dessiner un prophète ! »

400 personnes étaient présentes, jeudi 11 avril en fin d’après-midi, pour une conférence exceptionnelle donnée par les membres de la rédaction de « Charlie Hebdo » sur le campus Esplanade de l’Université de Strasbourg. Organisé par les associations Sciences Po Forum, Hémicycle étudiant, Génération citoyenne et Génération Charlie, cet événement a permis de débattre sur les thèmes de prédilection de l’hebdomadaire satirique : caricatures, liberté d’expression, religion et laïcité.

Riss, le rédacteur en chef de Charlie Hebdo, était sous bonne garde, accompagné de ses confrères journalistes Laure Daussy, Yovan Simovic et du dessinateur Juin dans l’amphithéâtre Ortscheidt de l’Escarpe. Intitulée « Peut-on tout dire aujourd’hui ? », la conférence de deux heures s’inscrit dans une tournée des universités françaises dans laquelle s’est engagée l’équipe du journal satirique. Objectif ? Faire connaître les valeurs qu’il défend à un public étudiant qui n’a souvent entendu parler de l’hebdomadaire que par l’attentat qui l’a frappé en 2015.

Je me souviens très bien du mois de janvier 2015, lorsque je devais formuler mes vœux à mes étudiants. J’étais désespérée que leur génération doive se battre à nouveau pour la liberté d'expression !, souligne Frédérique Berrod, professeure à Sciences Po Strasbourg, en guise d’ouverture de cette soirée de questions-réponses posées par les étudiants de Sciences-Po puis par l’auditoire.

« Le concordat c’est comme le camembert en Normandie, ça fait partie du folklore local ! »

Riss enchaîne sur un ton plus sarcastique en pointant une spécificité alsacienne : le concordat, en référence au dessin figurant sur l’affiche de la conférence. C’est un produit du terroir, comme le camembert en Normandie, ça fait partie du folklore local !, sourit le rédacteur en chef devant un auditoire intergénérationnel attentif, lecteurs de la première heure ou novices.

Un auditoire régulièrement secoué de rires grâce aux dessins réalisés en direct par Juin, en écho aux propos de ses camarades. Chez Charlie, on fait des dessins sur des choses horribles. La caricature est faite pour mettre de l'inconfort chez le lecteur, le déranger, mais aussi le faire rire. On vit dans un monde qui serait insupportable si on ne mettait pas un peu de distance grâce à l'humour !, poursuit Riss.

Fil conducteur de la soirée : la liberté d’expression. Base de la ligne éditoriale du journal, son importance a été rappelée par les journalistes, et ses rapports parfois complexes avec la religion et la laïcité longuement débattus. Cette liberté est fondamentale mais de plus en plus abstraite. Avant 2015, le reste de la profession pensait qu’on n’avait qu’à se débrouiller face au harcèlement judiciaire de certaines associations catholiques intégristes. Ils n'ont pas vu que l'intégrisme religieux gagnait du terrain… Malheureusement, il a fallu en arriver aux événements de 2015 pour que les gens prennent conscience qu'on fait des choses qui bénéficient à tout le monde. C’est Charlie qui a été touché mais ce sont les journalistes qui étaient visés explique Riss.

« La laïcité a pour but la paix sociale »

Ce qui crée des fractures désormais c'est la critique de la religion et du fanatisme religieux. La laïcité permet de mettre à distance les pressions religieuses et favorise l'émancipation, la liberté. C’est le sens de la loi Stasi de 2004, analyse pour sa part Laure Daussy qui a notamment écrit un livre sur les injonctions faites aux jeunes femmes dans certains quartiers : La réputation, enquête sur la fabrique des filles faciles.

La religion ne peut pas imposer sa loi dans l'espace public. La laïcité a pour but la paix sociale. C’est un principe d'organisation de la vie en collectivité, ce n'est pas faire injure aux croyances des gens que de le rappeler !, abonde Riss, qui enchaîne : À mon époque, il suffisait de suivre les cours d'histoire, avec les guerres de religion, pour comprendre l'intérêt de la laïcité. Ce principe est le fruit d’un processus, il n'est pas arrivé il y a 5 ans pour faire chier le monde !

« Est-ce qu'ils ont gagné ? »

« Depuis 2015, il n’y a plus de caricatures de Mahomet dans Charlie Hebdo. Est-ce qu'ils ont gagné ? », interroge un homme en fin de conférence. À une époque, caricaturer Mahomet était considéré par certains comme la transgression ultime. Malheureusement, aujourd’hui, enseigner l'histoire ou des connaissances scientifiques est pour eux aussi blasphématoire que dessiner un prophète !, lui répond Riss.

C’est notre devoir de conduire les jeunes à sortir de l’obscurantisme, du prêt-à-penser et surtout du prêt-à-assassiner !

Des propos avec lesquels Michel Deneken, président de l’Université de Strasbourg, marque un parallèle, évoquant la rafle de 1943 de ses membres lorsque l’université était repliée à Clermont-Ferrand durant la Seconde Guerre mondiale. Comme Charlie Hebdo, l’université a payé le prix du sang pour défendre sa liberté. Un combat qui résonne d’autant plus dans cet amphithéâtre où le président remet tous les ans leur diplôme aux étudiants du Centre universitaire d’enseignement du journalisme (Cuej) : C’est la seule faculté où je remets des diplômes à des garçons et des filles dont à peu près cent meurent chaque année dans le monde parce qu’ils font leur boulot. Et de rappeler la responsabilité qui incombe à l’université pour protéger le débat : En tant qu’éducateurs, c’est notre devoir de conduire les jeunes à sortir de l’obscurantisme, du prêt-à-penser et surtout du prêt-à-assassiner !

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