Par Elsa Collobert
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Du café-théâtre pour « lever le voile » sur les sujets qui fâchent

Port du voile et de signes religieux, blasphème, conflit israélo-palestinien... Agacée de voir le débat sur ces épineuses questions confisqué et malmené par des polémistes aux heures de grande écoute, Lauren Bakir, docteure en droit et ingénieure de recherche au laboratoire Droit, religion, entreprises et société (Dres), a décidé d'intervenir avec ses propres armes : celles du droit et du raisonnement scientifique. La première de sa pièce, « Levons le voile ! », co-écrite et mise en scène avec le spécialiste de vulgarisation scientifique Alexandre Taesch, aura lieu le 18 novembre.

Après cinq ans à travailler dans mon coin sur ma thèse, j'ai eu envie de renouer avec ce que j'aime : créer du lien et nouer le dialogue, explique Lauren Bakir. Désormais docteure, après avoir soutenu en 2018 une thèse sur l'articulation entre liberté religieuse et valeurs de la République, l'ingénieure de recherche au sein du laboratoire Droit, religion, entreprises et société (Dres CNRS/Unistra) depuis bientôt un an a voulu apporter son grain de sable au débat.

Dépassionner le débat

Tout est parti d'une énorme frustration face à ce que je pouvais entendre sur des chaînes à fort impact comme CNews ou BFMTV. Or, j'ai la légitimité, j'ai les arguments, je voulais rappeler qu'un cadre juridique bien précis existe sur les questions de laïcité. Si des personnes comme moi, issues du milieu universitaire, ne tentent pas de dépassionner le débat, examiner ces questions avec la tête froide au moyen d'une saine argumentation, alors qui le fera ?

Initier le dialogue

Avec des centaines d'idées et de projets dans ses cartons, les pistes pour parler au-delà du cénacle universitaire ne manquent pas. J'ai d'abord eu l'idée de retravailler ma thèse sous forme de livre, mais je voulais toucher le plus grand nombre possible de personnes. Et pourquoi pas une vidéo YouTube, un podcast ? J'aurais pu, mais ça ne me tentait pas plus que ça. Ce sera donc une courte pièce de café-théâtre, manière d'initier un dialogue avec le public après les représentations. Cette partie échange, c'est crucial pour moi. C'est peut-être galvaudé comme terme, mais je veux faire quelque chose de citoyen.

Lorsqu’un heureux hasard la met sur le chemin de Marie-Charlotte Morin, biologiste, lauréate en 2014 du concours Ma thèse en 180 secondes et autrice de la pièce Tout le monde descend consacrée à la théorie de l'évolution, elle contacte le metteur en scène de cette dernière, Alexandre Taesch. En créant sa compagnie Le hibou blond, il s'est fait une spécialité de la vulgarisation scientifique : Levons le voile ! est sa troisième pièce. Il m'a aidée à canaliser ce qui bouillonnait dans ma tête, et à synthétiser mes idées lors de l'écriture du spectacle. On est plutôt complémentaires au final ! Elle-même pas du tout comédienne, il lui conseille de prendre des cours de théâtre, ce qu'elle fait pendant un an. Ça ne m'empêchera pas d'avoir un énorme trac le jour de la première !

Équilibre

Car Lauren et Alexandre interprètent à eux deux la petite dizaine de personnages de la pièce : psychologue, oncle, professeur, élève... J'ai pensé la pièce pour un public à partir de 10 ans, en essayant sans cesse de garder un équilibre entre didactisme, humour et vulgarisation, sans non plus tomber dans la conférence.

Garder un équilibre entre didactisme, humour et vulgarisation

Finalement, écrire la pièce a été le plus facile, ce qui a pris le plus de temps et d'énergie ce sont tous les à-côtés, l’administratif, la recherche de salles, de financements... Défi relevé pour cette dimension, puisque Levons le voile ! est soutenu par la Délégation interministérielle à la lutte contre le racisme, l'antisémitisme et la haine anti-LGBT (Dilcrah), la Collectivité européenne d'Alsace (CEA) et la Direction de l'enfance et de l'éducation de la Ville de Strasbourg*, qui a programmé dix dates pour des élèves de CM2 et collégiens du territoire.

Jeune génération

Écœurée du décalage entre les discours entendus dans certains médias et la réalité, et par la manipulation d'arguments moraux, en particulier au moment de l'assassinat de l'enseignant Samuel Paty, en 2020, et les réactions politique qui s’ensuivent, Lauren Bakir se décide à apporter sa propre contribution au débat. Porter cette voix auprès de la jeune génération me semble être la bonne solution. Et même si je ne touche au final qu'une dizaine de personnes, je pourrai au moins me dire que j'ai fait ma part. L'actualité brûlante, comme le port du voile en Iran ou la reprise des affrontements en Israël, n'est pas passée sous silence. Des sujets sur lesquels les enseignants ne se sentent pas toujours armés. Des ressources sont mises à leur disposition par le réseau Canopé, et je me tiens aussi à disposition au besoin pour préparer la séquence ou revenir en parler en classe.

Porter cette voix auprès de la jeune génération

Les premières réactions aux extraits présentés lors de la Fête de la science, en octobre dernier, sont très encourageants. J'aimerais avec cette pièce faire sortir les jeunes de leur bulle d'information sur les réseaux sociaux, leur dire qu'aucune façon de s'informer n'est neutre. Et aussi leur rappeler que le système démocratique qui est le nôtre est beau, et c'est d'autant plus vrai ici à Strasbourg, capitale des droits de l'Homme et de l'Europe !

* Le projet Levons le voile ! est lauréat d’un appel à projet de la Dilcrah, soutenu par la Ville de Strasbourg (direction De l’enfance et de l’éducation mais aussi le service culture) et la CEA

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