Se questionner sur la démarche scientifique au moyen d’une boîte mystère
Comment faire de la recherche de manière raisonnée et raisonnable ? L’unité d’enseignement « What is in the box » ouverte pour l’instant aux étudiantes et aux étudiants en master 2 de neurosciences au sein de l’Institut thématique interdisciplinaire Neurostra propose au travers d’une énigme d’aborder des questions de philosophie des sciences et d’éthique de la recherche.
L’histoire des sciences comme la philosophie des sciences se retrouvent de plus en plus rarement dans les programmes de formation
, indique Catherine Allamel-Raffin, professeure en épistémologie et histoire des sciences et des techniques et co-directrice des Archives Henri Poincaré (UMR 7117 – Unistra / CNRS). C’est de ce constat qu’a émergé l’idée de proposer l’UE What is in the box inspirée d’une expérimentation américaine avec Philippe Isope, directeur de recherche CNRS à l'Institut des neurosciences cellulaires et intégratives (INCI - CNRS en partenariat avec l’Unistra). Objectif : proposer une réflexion sur ce que signifie faire de la recherche.
En plus de l’investigation, c’est aussi la démarche scientifique qui est au cœur de l’exercice.
Le principe est simple : les étudiants sont amenés à déterminer le contenu d’une boîte hermétiquement scellée contenant des objets de natures différentes. Ces objets sont choisis et connus seulement par un groupe hétérogène constitué selon les années d’un neuroscientifique, d’un physicien, d’un théologien et d’un professeur de lycée. L’objectif : déterminer le contenu de la boîte sans l’ouvrir bien évidemment. Pendant un semestre, les étudiants en binôme ont carte blanche pour choisir leurs méthodes d’investigations : analyse phonique, rayons X, échographie… Un binôme est allé jusqu’à envoyer un questionnaire à une cohorte de professeurs de lycée pour connaître quels objets ils sélectionneraient dans une telle situation
, se souvient Philippe Isope. En plus de l’investigation, c’est aussi la démarche scientifique qui est au cœur de l’exercice. Les étudiants constituent un document de travail avec données initiales, problématiques, hypothèses, tests, résultats, interprétations et conclusions. Un document qui servira également de base à une argumentation finale. À noter que les groupes sont en compétition avec à la clé un prix de 200 euros décerné par un jury indépendant pour le groupe gagnant.
À l’issue de cette remise de prix, la boîte, tout comme dans une recherche classique, n’est jamais ouverte, les résultats ne peuvent être que probables, voire très probables, mais le doute sur le contenu exact de la boîte subsistera toujours… pour les étudiants comme pour les enseignants. Pour clore de manière conviviale cet enseignement, les étudiants et l’ensemble de l’équipe se retrouvent au restaurant.
Un pas de côté, une respiration
L’ensemble de la démarche permet aux étudiants de se questionner sur ce que cela veut dire de faire de la recherche, sur la démarche scientifique en elle-même également. Certains binômes abordent, par exemple, la question du partage d’information avec d’autres binômes. Une interrogation qui permet d’engager une discussion sur l’éthique de la science
, explique Catherine Allamel-Raffin. D’autres thèmes comme les points forts ou les limites d’un raisonnement scientifique, la réfutabilité d’une méthodologie ou encore la question du genre en sciences peuvent également être abordés.
Quand les étudiantes et les étudiants entrent dans le module, ils en comprennent la nécessité
À la rentrée 2025, en plus des étudiantes et des étudiants en master 2 de neurosciences au sein de l’ITI Neurostra, ceux de l’ITI HIFunMat pourront également participer à cet enseignement dispensé en anglais. L’ambition, à terme, est de proposer cet enseignement à l’ensemble du programme des ITI. Pour les étudiants, c’est un pas de côté dans leur cursus, une respiration qui leur permet d’aborder la science d’une manière différente. Malgré un semestre lourd, les étudiants prennent du temps de manière spontanée pour ce projet. On voit de la motivation, de l’envie. Quand ils entrent dans le module, ils en comprennent la nécessité
, ajoute Philippe Isope.
L’enseignement What is the Box sera présenté le mardi 1er juillet à la journée annuelle de l’Idip consacrée à la pédagogie à l’Université de Strasbourg.
« Aborder une problématique laissant une grande place à la curiosité »
Margot Fita a suivi l’UE What in the box en 2023. Elle réalise aujourd’hui un doctorat à l’Institut des neurosciences cellulaires et intégratives (INCI).
J’ai suivi ce cours en 2023 au moment de sa mise en place. Nous étions toutes et tous un peu apeurés du temps en plus que cela prendrait. Un sentiment qui s’est vite effacé. Travailler avec des étudiants de spécialités différentes, aborder une démarche scientifique de manière ludique, appliquer une méthodologie scientifique sans pression, autant d’ingrédients qui ont vite fait place à de l’enthousiasme. Cette expérience a été très enrichissante. Nous avons pu appliquer des méthodes scientifiques avec un peu plus de légèreté que les cours habituels. Cela m’a permis de découvrir un nouvel état d’esprit pour aborder une problématique laissant une grande place à la curiosité. Nous étions maître de ce que nous produisions, pour résoudre l’énigme la créativité était obligatoire, la collaboration aussi et surtout la confrontation des hypothèses. L’objectif n’était pas la prouesse technique mais bien la mise en place d’une méthodologie scientifique. Actuellement en doctorat, je continue à éprouver l’ensemble de ces acquis.
« Comprendre la complexité de la pensée scientifique »
Georges Fotiou a suivi l’UE en 2025. Extrait traduit de son évaluation écrite en anglais.
Le module nous a aidés à comprendre la complexité de la pensée scientifique et les interactions entre la théorie, l'expérimentation et l'interprétation. Nous avons utilisé de multiples méthodes et un raisonnement philosophique pour aborder la question qui nous était présentée. Nous avons également élargi nos connaissances sur la manière dont la science est pratiquée et notre capacité de réflexion critique. Enfin, l'expérience globale nous a aidés à comprendre la nécessité d'adopter des approches multiples lors de la conduite d'une recherche et nous a permis de faire face à tous les défis susceptibles de survenir au cours de celle-ci.
The module helped us in comprehending the complexity of scientific thinking and the interactions between theory, experimentation and interpretation. We used multiple methods and philosophical reasoning to tackle the issue presented to us. We also expanded our knowledge on how science is done and our capacity for critical thinking. Finally, the overall experience assisted us in understanding the need for multiples approaches when conducting research and has equipped to deal with any challenges that may arise during the research.
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