Contre le paludisme, la piste de la primaquine à dose unique
Burundi, Burkina Faso et Madagascar : trois pays où la prévalence du paludisme reste élevée. En mars dernier, une délégation de l’équipe Malaria Genetics and Resistance (Megateam) de l’unité de recherche Pathogens Host Arthropods Vectors Interactions, de la Faculté de médecine (Unistra-HUS), emmenée par Didier Ménard, son responsable, s’est rendue sur l’île de l’Océan Indien, dans le cadre d’un projet de déploiement d’une molécule qui permettrait de ralentir la transmission de cette maladie infectieuse.
Après un passage obligé par la case médecine du travail et la prise d’un traitement anti-paludisme
, une partie de l’équipe Malaria Genetics and Resistance (Megateam) de l’unité de recherche Pathogens Host Arthropods Vectors Interactions s’est envolée en mars dernier pour une mission scientifique, direction Madagascar.
Sur place, ils travaillent avec quatre centres de santé isolés, dans la région de Ranomafana (sud-est), à douze heures de piste de la capitale, Antananarivo. 24 000 personnes vont être impliquées dans une étude clinique visant à étudier l’administration de la primaquine en dose unique et l’appropriation de ce traitement de prévention, en complément du traitement curatif actuel à base d’artémisinine (ACT)
, détaille Didier Ménard, coordinateur du projet Imprima (Implémenter la primaquine à dose unique faible en Afrique).
La molécule, connue depuis plusieurs décennies et développée par l’armée américaine, a été utilisée comme élément central de la doctrine antipaludique de l’US Army, non seulement pour le traitement radical des infections à P. vivax, mais aussi en tant qu’agent prophylactique. L’Organisation mondiale de la santé (OMS) a intégré la primaquine dans ses recommandations antipaludiques depuis 2012, notamment sous forme de dose unique faible pour réduire la transmission de Plasmodium falciparum, grâce à son effet gamétocytocide, en plus du traitement classique.
À Madagascar, elle est déjà utilisée, mais uniquement chez les adultes : Le défi aujourd’hui est de cibler les enfants, touchés dans la majorité des cas
. Il existe encore des réticences, car la molécule est toxique à haute dose et est contre indiquée dans certains cas, en particulier chez les sujets déficients en G6PD (glucose-6-phosphate déshydrogénase), une enzyme du globule rouge. Il s’agira aussi pour l’étude clinique de démontrer l’absence d’effets secondaires, sous forme de dose unique faible.
Une molécule altruiste
Le projet, débuté il y deux ans et qui va se déployer jusqu’en 2027, se déroule en deux phases : des prélèvements sanguins sur 165 enfants, puis l’étude clinique à proprement parler, dans les centres de santé, pendant deux ans, avec la comparaison entre deux clusters de déploiement du traitement préventif et deux clusters témoins, sans déploiement de la primaquine, uniquement les traitements habituels. La problématique de départ est simple : le déploiement de la primaquine permet-il de baisser la prévalence de la maladie, à l’échelle communautaire (entre 6 000 et 10 000 habitants par cluster) ?
La problématique de départ est simple : le déploiement de la primaquine permet-il de baisser la prévalence de la maladie, à l’échelle communautaire ?
La primaquine est une molécule préventive qui présente un double avantage
, décrit Didier Ménard. Elle fonctionne en prise unique, donc on l’administre en une dose aux malades, au premier des trois jours du traitement. Molécule altruiste, elle tue les formes parasitaires transmises par le vecteur de la maladie, le moustique, en éliminant les gamétocytes, les cellules qui assurent la transmission de la maladie. Cela permet de stopper la contamination, de la mère à l’enfant par exemple.
Amère, elle est administrée sous forme aromatisée.
Une pierre à l’édifice
Sur place, pour l’équipe projet, il s’agit de se confronter à la réalité du terrain, avec ses aléas et ses difficultés, notamment en termes de logistique pour nos partenaires
, rend compte Emmanuelle Caspar, manager du projet Imprima. Très concrètement, les prélèvements sont réalisés dans les centres de santé mais analysés en laboratoire à Strasbourg
, poursuit Pierre-Emeric Strubel, technicien. La conservation du matériel génétique prélevé, en particulier l’ARN, peut être très instable si on n’a pas des conditions de stockage optimales. Or les centres de santé avec lesquels nous travaillons fonctionnent uniquement avec des générateurs, qui peuvent tomber en panne.
Venir sur place, c’est aussi montrer à nos partenaires que nous sommes bien présents sur le terrain à leurs côtés
, complète Didier Ménard.
Financé par l’Europe à hauteur de 4 millions d’euros, Imprima constitue une pierre à l’édifice dans la lutte mondiale pour l’élimination du paludisme
. Ce projet a vocation à servir de modèle pour d’autres pays, notamment ceux qui restent encore réticents à la mise en œuvre de la primaquine. Le projet se déploie aussi au Burundi et Burkina Faso.
À l’étude clinique se greffent plusieurs autres études, notamment d’acceptabilité, un volet plaidoyer et un sociologique, mené par la sociologue de l’Unistra Helena Prado (Laboratoire interdisciplinaire en études culturelles, LinCs, UMR 7069, Institut d'ethnologie).
Une préoccupation de santé publique majeure
L’objectif d’Imprima est de taille, car avec 263 millions de cas dans le monde, et 597 000 décès estimés en 2023 selon l’OMS, le paludisme reste une préoccupation de santé publique majeure. Principalement en Afrique sub-saharienne, zone de prévalence majoritaire. Il est d’autant plus important de déployer cette stratégie que depuis cinq ou six ans, il y a stagnation de la progression de la lutte contre la maladie, malgré toutes les mesures de prévention mises en place
, précise Didier Ménard.
Les partenaires du projet
- CNARP : Centre national d’application des recherches pharmaceutiques (Madagascar)
- Institut national de santé publique (Burundi)
- Groupe de recherche action santé (Burkina Faso)
- Remed (ONG française)
- Université de Leiden (Pays-Bas)
- Université d’Oxford (Royaume-Uni/Thaïlande)
- Université de Strasbourg (France)
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