Les écologies visuelles, un domaine de recherche en pleine éclosion
Méga-feux, inondations, glissements de terrain… Aussi spectaculaires que surabondantes, les images des manifestations des bouleversements climatiques sont loin d’être neutres, mais porteuses de discours, selon leur contexte. Le colloque « Écologies visuelles, expérience et vie des images à l’heure du capitalocène » a réuni en janvier à Strasbourg des chercheurs de plusieurs horizons pour défricher ce champ de recherche, nous explique Sophie Suma, enseignante-chercheuse contractuelle au laboratoire Approches contemporaines de la création et de la réflexion artistiques (Accra) de l’Université de Strasbourg.
Le colloque réuni à Strasbourg du 22 au 24 janvier partait d’un présupposé…
Plutôt d’une intuition : y a-t-il effectivement matière à explorer un nouveau champ d’étude ou est-ce un effet de mode ? Aux côtés des autres axes du programme de recherche Cultures visuelles, lancé en 2017 et officialisé en 2022, celui sur les écologies est encore au stade de jeune pousse. Il a pris racine dans l’Institut thématique interdisciplinaire (ITI) Centre de recherche et d'expérimentation sur l'acte artistique (Creaa), qui se poursuit aujourd’hui sous la forme de l’ITI SWITCH (Durabilité de l’eau et des villes).
Le nombre de personnes réunies à cette occasion et la qualité des échanges nous ont confirmé qu’il y a bien une volonté, et un intérêt, à réunir une communauté scientifique autour de cette question.
Un premier indice était l’existence de recherches exploratoires déjà menées dans les pays anglo-saxons : nous avons d’ailleurs pu bénéficier, en visio, du précieux éclairage de spécialistes des États-Unis, d’Allemagne et du Canada, tels qu’Adrian Ivakhiv, Birgit Schneider ou encore Hela Zahar.
Comment était organisé le colloque ?
Chacune des trois journées était déclinée en une thématique. Cela reflète bien la méthode du projet : d’abord partir d’une approche épistémologique – en montrant qu’un corpus théorique important sur la question des images s’est constitué depuis les années 1990, « Écologie des images ». Puis explorer les images de l’écologie en tant que telles, sûrement l’axe le plus prolifique. Enfin, celui qui est encore à défricher et le moins exploré jusqu’à présent, la question de leur impact, notamment dans la sphère numérique.Quel impact des images dans la sphère numérique ?
Les images constituant en soi des écosystèmes, il nous a semblé logique de fonctionner de même : en créant des interactions et des points de rencontre entre humanités et sciences exactes. Étaient présents au colloque nos collègues strasbourgeois de la Fédération de recherche Environnement et durabilité (Fered), dont Stéphane Vuillemier, microbiologiste. Mais aussi des intervenants à la croisée des domaines, cinéma, musicologie, spécialistes des médias, sociologie visuelle, artistes… (Peter Szendy, Yves Citton, Teresa Castro, Jean-Michel Durafour, Julie Patarin-Jossec, etc.).
Quelles sont maintenant les perspectives ?
Avec mes collègues Vivien Philizot et Benjamin Thomas, qui coordonnent avec moi l’axe des « Écologies visuelles », nous publions aux éditions 205 le premier ouvrage d’une collection qui en appelle d’autres. Nous tenons aussi beaucoup au travail auprès des sociétés de productions audiovisuelles, pour faire infuser le rendu de nos réflexions dans le monde socio-économique et, in fine, la production d’images.
Ouvert en 2022, le travail de cartographie de recensement des recherches en écologies visuelles est toujours en cours. Faute de financements pérennes, nous limitons certains de nos projets.
À noter que ce colloque n’aurait pu se faire sans la participation d’un très grand nombre de personnes : collègues, project manager, doctorants, post-doctorants, et assistant·e·s de recherche impliqués à plusieurs niveaux et à la motivation sans faille !
De l’importance d’étudier les images
Loin d’être des objets inertes et neutres, les images sont des supports de discours et des sujets qui mobilisent des manières de voir le monde
, explique Sophie Suma. En fonction de leur milieu et de leur diffusion, elles peuvent tantôt montrer, tantôt invisibiliser. Si on prend l’exemple récent des feux de Los Angeles, les représentations diffusées dans les médias et sur les réseaux sociaux nous détournent finalement de la cause du phénomène – le changement climatique – et ses conséquences sur tout un pan de la population, les plus précaires, au profit d’une vision spectaculaire et esthétisée.Les images des feux de Los Angeles propagent une vision spectaculaire et esthétisée, éclipsant leur cause, le changement climatiqueDans le sillage de la philosophe Donna Haraway et son “Manifeste cyborg”, il est intéressant de s’interroger sur une vision hégémonique très stéréotypée de la nature, ouvrant de fait droit à son exploitation ; des parallèles avec l’exploitation coloniale peuvent d’ailleurs être faits. C’est ce que je m’efforce de faire dans mon travail sur les séries TV, dans le sillage de Sandra Laugier : les images qu’elles véhiculent ont des vertus pédagogiques et sont vectrices d’agentivité, ou capacité d’agir.
En tant que point de départ pour aborder des enjeux aussi cruciaux, brûlants et interconnectés que l’écologie, les discriminations ou encore le fascisme, l’étude des images est beaucoup trop déconsidérée et sous-financée en France
, estime la chercheuse.
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