Laurine Sottani, dans le secret des algorithmes
Madame IA à l’Unistra, c’est elle ! En septembre dernier, tout juste diplômée du master Technologies des langues, elle est embauchée comme ingénieure intelligence artificielle (IA) à la direction du numérique de l’Université de Strasbourg, établissement qui l’a formée. Rencontre.
De profil plutôt littéraire, vous être aujourd’hui ingénieure IA : comment expliquer ce grand écart ?
C’est vrai, je suis issue d’un baccalauréat littéraire et j’ai suivi une licence Langues, littératures et civilisations étrangères et régionales (LLCER) Anglais, à la Faculté des langues de l’Université de Strasbourg. J’avais d’abord dans l’idée de faire de la traduction, mais les enseignants ne nous ont pas caché que le secteur était bouché. Je me suis donc mise en quête d’une formation avec de meilleures perspectives d’insertion professionnelle. Et c’est là que je suis tombée sur le master Technologies des langues, toujours à la Faculté des langues. Sélectionnée sur liste complémentaire, j’en suis sortie diplômée en juillet 2024. Destinée aux étudiants qui comme moi sont issus des humanités, il vise à nous doter de compétences à la croisée des langues et de l’informatique. J’y ai vu un intérêt pour l’avenir et j’ai eu le nez creux, car c’est pendant la formation, en 2022, que la version grand public de ChatGPT est sortie, dotée d’un modèle basé sur l'apprentissage profond (ou deep learning) et le transformer (architecture d’apprentissage profond et c’est l’apprentissage profond dans sa globalité qui utilise les réseaux de neurones artificiels. C’est incroyable d’avoir assisté à cette révolution depuis cet endroit ! Les enseignants s’y sont très rapidement adaptés. Aujourd’hui, c’est moi qui dispense le cours d’initiation au traitement automatique du langage et aux humanités numériques, aux étudiants de licence : passionnant, pour un premier job !
Comment passe-t-on des langues étrangères au langage informatique, il y a des points communs ?
Il y en a beaucoup, comme en témoigne l’intitulé de nos cours de master : linguistique, lexicologie, phonétique, linguistique de corpus, rédaction et traduction technique. Concrètement, pendant deux ans, je me suis formée à maîtriser une toute nouvelle discipline, le Natural langage processing (NLP, Traitement automatique du langage) et à la maîtrise du langage de programmation Python, pour traiter un grand nombre de données textuelles.
C’était très intensif et un vrai pari, mais cela m’a plu car curieuse de nature, j’ai toujours aimé apprendre et les challenges. Et quelle satisfaction quand on arrive à résoudre un problème grâce à ses nouvelles compétences !
Après, mes connaissances en mathématiques et informatique restent limitées, je ne plonge pas dans les arcanes profonds des mécanismes des algorithmes.
Quel est votre rôle à l’Unistra ?
La première mission qui m’occupe, c’est le travail sur le projet ScolarGol, avec mes collègues de la DNum. Il vise à implémenter un chatbot pour répondre aux questions des nouveaux arrivants sur leur inscription à l’université. Les critères qui guident notre choix de modèle de langage (LLM) pour cette solution est guidé par deux impératifs : une IA libre, souveraine et open source, pour ne pas que nos données servent à nourrir et entraîner un modèle commercial comme ChatGPT ; et le meilleur rapport entre performance et impact, pour une utilisation la plus sobre possible. L’IA doit rester un outil d’aide mais surtout pas remplacer le contact humain, qui doit rester primordial !
Un autre projet, mené avec mon collègue Morgan Bohn, arrivé en mars : « IAAT », l’IA pour apprendre et tester. Il consiste à mettre en place des instances d’IA pour l’enseignement, selon les cas d’usage : QCM, assistance à la programmation en Math-Info, cas clinique en médecine, cas pratiques en droit.
Je fais aussi de la sensibilisation, en participant à des séminaires et des formations, rappelant que l’histoire de l’IA ne date pas d’hier et expliquant le B.A.-BA de son fonctionnement (cf. encadré).
Quel rapport personnel entretenez-vous avec l’IA, qui peut potentiellement inquiéter ?
Je suis optimiste, dans une certaine mesure. L’IA peut être un formidable outil : je l’utilise dans mon quotidien, pour construire mon programme de vacances ou optimiser la confection de mes repas en fonction du contenu de mon frigo, par exemple. Mais attention, il ne faudrait pas avoir l’IA trop facile et remplacer l’appel à ses neurones par des neurones artificiels, je pense en particulier aux recherches en ligne.
Le risque le plus important que j’identifie est celui que l’IA fait peser sur l’environnement : les solutions de calcul sont de plus en plus énergivores, notamment pour les images. Le rapport à l’art, à la propriété intellectuelle est aussi chamboulé avec l’IA, et cela me questionne aussi.
Fonctionnement de l’IA : de quoi parle-t-on ?
L’IA regroupe beaucoup de sous-domaines :
- le machine learning ou apprentissage automatique, permet aux machines d’apprendre de manière autonome à partir de données et d’améliorer leurs performances sans être explicitement programmées pour chaque tâche
- le deep learning ou apprentissage profond, un sous-ensemble du machine learning, utilise des réseaux de neurones artificiels pour traiter des tâches plus complexes et un grand volume de manière autonome (introduits dès1943)
- l’IA générative est une application de l’apprentissage profond pour générer du contenu (textuel, vocal, musical…)
- un LLM (LArge Language Model) est un grand modèle de langage entraîné sur un vaste volume de données, capable de comprendre et générer du langage naturel
Le saviez-vous ? L’IA ne date pas d’hier ni même de 2022 !
On réfléchit depuis bien longtemps à l’IA, dans la mythologie (Galatée, les assistantes d’Héphaïstos, Talos), chez les philosophes (Aristote, Hobbes, Leibniz). Deux grands pas sont franchis en 1943 avec le premier réseau de neurones artificiels théorisé par McCulloch et Pitts, et le test de Turing en 1950 (un individu communique avec un être humain et une machine et doit essayer de distinguer les deux).
Extrait de la présentation de Laurine Sottani, « Point théorique sur l’IA »
L’Unistra face à l’IA
Dans l’enseignement, les équipes de direction, les métiers administratifs, la recherche… Depuis au moins deux ans, voire plus, l’IA infuse dans tous les domaines à l’université. Comment cette dernière répond-elle aux défis que pose cette révolution, comment s’en saisissent les acteurs, quelles réponses et processus sont-ils mis en place ? Ingénieurs, chefs de projets, chargés de mission… Savoir(s) le quotidien part à la rencontre de celles et ceux sont mobilisés en tant qu’acteurs du changement !
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