Par Marion Riegert
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Agentivité : collaborer avec l’animal

Dans un article de réflexion paru dans "Journal of Comparative Psychology", Cédric Sueur, primatologue et éthologue à l'Institut pluridisciplinaire Hubert Curien (IPHC - CNRS/Unistra), et Marie Pelé, chercheure à l’Université catholique de Lille, montrent qu’une autre recherche avec les animaux est possible en éthologie, écologie et en neurosciences. Et ce, en tenant mieux compte de leurs spécificités et de leur caractère.

L'agentivité est la capacité d'un individu, appelé acteur, à agir dans et sur un environnement donné

Souvent, les protocoles sont imposés sans respecter l’agentivité de l’animal. A travers cet article, nous souhaitons amener les chercheurs à se dire que leurs protocoles pourraient être différents , souligne d’emblée Marie Pelé qui précise qu’il ne faudrait plus travailler sur l’animal mais avec lui.

L’animal dans sa spécificité doit ainsi avoir une place active dans la recherche. Il faut leur faire confiance dans leur capacité à coopérer. Sans oublier de prendre en compte l’importance de l’individualité. Au sein d’un même groupe d’une même espèce, il y a des différences de comportement au niveau des individus. Certains, selon leur caractère, sont plus ou moins intéressés par une activité, raconte Marie Pelé qui a réalisé sa thèse sur le comportement d’échange chez des singes et des grands singes.

Respecter les routines

Au-delà du bien-être de l’animal, ce travail de coopération permet d’accéder à des résultats scientifiques jusque-là inaccessibles. Les conditions de captivité et le stress engendré ne permettent pas à l’animal d’exprimer son comportement plein et normal ce qui peut fausser les données, précise Cédric Sueur. À leur manière, les animaux interagissent avec le monde qui les entoure et c'est bien à nous, expérimentateurs, de nous adapter à leur agentivité pour correctement appréhender leurs comportements et leurs capacités cognitives.

Respecter les routines des animaux, ne pas imposer, sont autant de pistes pour améliorer les tests cognitifs en éthologie. Même pour des souris et des rats, il est possible de leur laisser la liberté de venir tester un dispositif et de répondre à une tâche d’une façon à laquelle nous n’aurions pas pensé, explique Marie Pelé qui évoque le biais de la perception humaine portée sur les expériences.

Comme des hurluberlus 

Autre piste : tester les animaux en milieu naturel plutôt qu’en captivité et limiter un maximum les interférences humaines. De nouveaux outils de suivi, comme le vidéotracking, couplés à l'intelligence artificielle permettent de limiter voire de supprimer la capture des animaux, détaille Cédric Sueur.

Pour cet article dans Journal of Comparative Psychology, les deux chercheurs se sont inspirés de leurs expériences de recherche à l’étranger mais aussi de plus 250 références de publications sur le sujet, dont beaucoup en philosophie. Au départ, lorsqu’on parlait de faire participer l’animal nous étions perçus comme des hurluberlus, sourit Cédric Sueur. Beaucoup de collègues pensaient que seuls les humains et les chimpanzés pourraient utiliser des tablettes et qu’il serait impossible de transférer le laboratoire sur le terrain. Nous savons aujourd’hui que tout cela est possible.

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