Par Marion Riegert
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Une nouvelle avancée dans la compréhension des neutrinos

La collaboration internationale BEEST (Beryllium electron capture in superconducting tunnel junctions experiment), qui regroupe une trentaine de physiciens, est parvenue pour la première fois à effectuer des mesures directes des limites de l’extension spatiale de la fonction d’onde d’un neutrino, une particule fondamentale de la nature parmi les moins bien comprises en physique. Explications avec Paul-Antoine Hervieux, membre de la collaboration et enseignant-chercheur à l’Institut de physique et chimie des matériaux de Strasbourg (IPCMS - CNRS/Unistra).

De nombreuses expériences ont lieu autour du modèle standard de la physique des particules, pour tenter de confirmer ce modèle ou d’en trouver des failles et ainsi entrer dans ce que les scientifiques appellent la physique au-delà du modèle standard. Une des pistes serait de trouver des neutrinos possédant une masse alors que le modèle standard suppose qu’ils n’en ont pas, explique Paul-Antoine Hervieux qui évoque une course à la mesure de la masse des neutrinos.

Dans cet exercice complexe, du fait de la nature même du neutrino : une particule quantique fantomatique dont l’existence a été prédite par Wolfgang Pauli en 1930, qui n’agit quasiment pas avec la matière, les expériences engagées dans cette quête sont généralement très imposantes et demandent l’utilisation de beaucoup de matière pour espérer détecter une interaction. L’idée de la collaboration BEEST est de proposer une expérience de précision beaucoup plus petite, on parle d’expérience « sur une table », permettant d’avoir accès aux mêmes informations, précise le physicien.

Mesurer l’énergie de recul du noyau

Dans l’expérience dont les résultats viennent d’être publiés dans Nature, les chercheurs utilisent une désintégration nucléaire par capture électronique. Un électron du cortège électronique de l’atome est capturé par le noyau provoquant sa désintégration. A ce moment, le noyau recule, signe qu’il a produit un neutrino.

Une probabilité de présence répartie sur une région donnée

Le neutrino étant une particule quantique, il est intriquée avec le noyau. Ainsi les mesures très précises de l’énergie de recul du noyau lors de la séparation permettent d’obtenir une information sur la largeur de la fonction d’onde du neutrino, c’est à dire la région où il se trouve. Il faut savoir qu’un neutrino n’occupe pas un point dans l’espace, mais se caractérise par une probabilité de présence répartie sur une région donnée. Étonnamment, l’expérience indique que celle-ci est plus de mille fois plus étendue que celle du noyau lui-même !

L’expérience va permettre d’explorer d’autres propriétés du neutrino, poursuit Paul-Antoine Hervieux qui avec un de ses doctorants, Adrien Andoche, a plus particulièrement travaillé sur la modélisation de l’influence du détecteur supraconducteur, utilisé pour mesurer le spectre énergétique du noyau au moment de son recul, sur la désintégration par capture électronique.

Jouer sur les propriétés du matériau dans lequel le noyau est implanté

A Strasbourg, nous développons une modélisation de la désintégration dans un milieu matériel. Généralement, ces expériences sont réalisées dans le vide ou dans un milieu dilué, là nous mettons en évidence que la matière solide dans laquelle l’élément radioactif se trouve va avoir une influence sur sa désintégration. On ne peut pas contrôler un noyau, mais on peut jouer sur les propriétés du matériau dans lequel il est implanté, nous pourrons ainsi prédire de meilleurs matériaux à utiliser pour modifier le processus de désintégration, se réjouit le chercheur qui évoque une collaboration pluridisciplinaire à l’interface entre physique nucléaire, physique atomique, chimie quantique et physique de la matière condensée.

Des traces d’événements allant au-delà du modèle standard

Prochaine étape : analyser le spectre d’énergie de recul obtenu, et enlever les informations sur la physique connue. À terme, il pourrait subsister des traces d’événements allant au-delà du modèle standard, offrant ainsi une opportunité d’explorer une nouvelle physique comme par exemple celle des neutrinos massifs, qui sont de possibles candidats pour la matière noire.

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