Panthéonisation de Marc Bloch : « J’espère voir cela avant mon 99e anniversaire ! »
Son acharnement à faire reconnaître l’engagement de son père a fini par payer : devant son fils Daniel Bloch, à Strasbourg le 23 novembre dernier, le président de la République Emmanuel Macron a annoncé la panthéonisation du résistant et historien strasbourgeois Marc Bloch, fusillé en 1944. Daniel Bloch a, par la même occasion, été décoré de la Légion d’honneur. Retour sur un parcours familial marqué par les affres de la Seconde Guerre mondiale.
Êtes-vous remis de vos émotions du 23 novembre ?
Les lendemains ont été difficiles, cela a été un torrent d’émotions. Le président Emmanuel Macron a été très humain, quand il m’a vu éclater en sanglots, moi le petit strasbourgeois, le petit résistant, à la fin de son discours il est venu me prendre dans ses bras. Un geste fort, d’humanité, qui m’a beaucoup touché.
Nous avons eu l’occasion d’échanger ensemble ensuite, dans la bibliothèque du Palais universitaire, lorsqu’il m’a remis la Légion d’honneur. Je l’ai récemment remercié, par un courriel.
C’était incroyable qu’il annonce la panthéonisation de Marc Bloch ici à Strasbourg, la ville où mon père a enseigné, où je suis né, dans l’aula qui porte son nom (l’aula Marc Bloch du Palais universitaire). C’était une vraie surprise. Cela fait quarante ans que je plaide auprès des présidents de la République successifs pour cette panthéonisation, depuis François Mitterrand. J’ai ressenti la panthéonisation de Jean Zay (en 2015, décidée par François Hollande) comme une vraie injustice. Un avis partagé par de nombreux historiens.
Savez-vous quand et comment va se passer la cérémonie au Panthéon pour l’entrée de votre père ?
Je n’ai encore aucune date de la part du cabinet de la présidence de la République. L’actualité ne laisse pas espérer que cela se fasse avant la fin de l’année. Une chose est sûre : j’espère voir cela avant mon 99e anniversaire !
Emmanuel Macron m’a en tous cas assuré que mon père pourrait rester reposer avec ma mère, Simone. Un soulagement, car ils étaient très fusionnels.
(Les cendres de Marc Bloch devraient rester au cimetière de Bourg d’Hem, dans la Creuse, berceau de la famille Bloch. Il devrait être représenté au Panthéon par des effets personnels).
J’attends avec impatience la prochaine cérémonie de commémoration à Saint-Didier-de-Formans (Ain), la commune où mon père a été exécuté, en juin. Le maire est le gardien de cette mémoire depuis douze ans. J’ai appris que le capitaine Marc Bloch y recevrait une décoration posthume.
Quels sont vos souvenirs de la guerre et de l’après-guerre ?
Je ne me suis vraiment rendu compte que nous étions juifs que lorsque, pour des raisons de santé dans mon enfance, j’ai été envoyé en Normandie chez mon arrière-grand-mère maternelle. A la différence de notre famille, laïque à l’extrême, elle était très pratiquante.
Ensuite, nous n’avons eu de cesse de ressentir la montée de l’antisémitisme, en particulier lorsque mon père a été nommé à Montpellier : le directeur de l’université avait alors plus qu’une dent contre nous. J’ai aussi subi de l’hostilité parce j’étais juif lorsque j’ai étudié à l’école d’agriculture : cela plaisait beaucoup à mon père, d’avoir l’un de ses fils qui n’était pas un intellectuel, un universitaire !
Engagé dans la résistance comme agent de liaison, j’ai retrouvé mon cousin, le docteur Henri Bloch-Michel, engagé dans le réseau Combat (mon père, lui était à Franc-Tireur) dans le maquis du Cantal, vers la fin de l’année 1944 : il m’a appris coup sur coup que mon père avait été fusillé, le 12 juin, par la Gestapo, et que ma mère était morte en juillet, à l’hôpital (sans avoir été informée, heureusement, du sort tragique de mon père). Dans un premier temps, je n’ai pas eu de réaction, j’avais vu tellement de choses atroces ! Ce n’est que dans un second temps que j’ai éclaté à chaudes larmes. J’ai réalisé, à 18 ans, que je n’avais plus de parents.
Je m’étais choisi le même nom de clandestinité que mon père, « Narbonne », pour qu’on puisse me reconnaître s’il se passait quelque chose. Mes deux frères aînés étaient aussi engagés dans la résistance : mais à cette époque-là, vous ne disiez rien de vos activités clandestines, ni à votre famille, ni à personne de l’extérieur.
Quelles étaient vos relations avec votre père, et le reste de votre famille ?
J’étais proche de lui, beaucoup plus proche que de mes deux frères ainés (Daniel Bloch est le quatrième d’une fratrie de six). Au retour de mon travail, nous partagions de nombreuses promenades, à discuter. Après-guerre, je me suis éloigné de la voie de l’agriculture, rejoignant des rédactions de journaux, côté développement photos, d’abord Combat puis France Soir : je ne serais pas qui je suis aujourd’hui si je n’avais pas côtoyé Albert Camus ! Plus tard, ça a été l’Office de radiodiffusion-télévision française (ORTF) et l’Eurovision.
Catégories
Catégories associées à l'article :Mots-clés
Mots-clés associés à l'article :