Par Marion Riegert
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Un glissement de terrain au Groenland mobilise la communauté scientifique internationale

Un mystérieux signal sismologique qui a duré 9 jours engendre la mobilisation inédite d’une soixantaine de chercheurs du monde entier, parmi lesquels Clément Hibert, chercheur à l'Institut Terre et environnement de Strasbourg (Ites - CNRS/Unistra/Engees). L’objet de ce mystère qui a donné lieu à une publication début septembre dans la revue Science ? Un glissement de terrain au Groenland.

16 septembre 2023, les sismomètres et gravimètres des géophysiciens de l’Observatoire royal de Belgique, s’agitent. D’habitude, en sismologie, on observe plutôt des signaux sismiques complexes. Là, ils ont vu apparaitre un bruit monochromatique, c’est-à-dire un signal avec un seule fréquence, comme une note de musique, raconte Clément Hibert, qui évoque une observation particulièrement rare et intrigante.

Et pour cause, en demandant si d’autres scientifiques ont observé le phénomène, Thomas Lecoq, responsable de l’équipe sismologie de l’Observatoire royal de Belgique, se rend compte que le signal est visible aux quatre coins de la planète. La curiosité de la communauté est piquée, une soixantaine de chercheurs de 40 instituts de 15 pays se mobilisent et échangent via un outil de discussion en ligne. Il y avait une vraie excitation. Quand on a commencé à travailler dessus, on ne s’est plus arrêtés.

L’aide de la Marine royale danoise

Première étape : déterminer la nature du signal. Vêlage d’iceberg, naissance d’un volcan sous-marin… Plusieurs hypothèses sont émises, parmi lesquelles la possibilité d’un glissement de terrain ayant mis en résonnance un fjord. Spécialiste de ce phénomène, Clément Hibert étudie le signal précédent la fréquence monochrome : J’ai vu qu’il y avait la signature sismologique d’un glissement de terrain. Après, il a fallu confirmer cette hypothèse par des observations directes.

Des installations détruites par le tsunami provoqué par le glissement de terrain

Côté localisation, nous savions qu’il avait une origine proche du Groenland mais n’avions pas sa position exacte. Finalement, après avoir mobilisé les images satellitaires pour tenter de retrouver des traces de l’évènement, la Marine royale danoise leur fournit la réponse le 27 septembre. En patrouillant dans la zone, ils ont retrouvé des installations détruites par le tsunami provoqué par le glissement de terrain et ont pu remonter jusqu’à son origine.

Un effet du changement climatique

Rapidement les scientifiques ont pu établir le profil du coupable : un glissement de terrain de 25 millions de m3 de glace et de roche, soit l’équivalent de 10 pyramides de Gizeh, s’est déplacé à 170km/h sur un glacier, puis a provoqué un tsunami de 200 mètres de hauteur en finissant sa course dans le fjord Dickson. La masse d’eau mise en mouvement, comme dans une bassine, a généré des ondes sismiques, heureusement aucun navire de croisière n’était présent ce jour-là. Mystère résolu en une dizaine de jours.

Reste à expliquer la durée du signal de 9 jours. C’est ce qui nous a pris le plus de temps et a été le plus difficile. Nous n’avions pas de modèles permettant de le comprendre. D’habitude les tsunamis générés par les glissements de terrain ne durent que quelques minutes. Un travail plus fondamental de modélisation est alors mené, notamment par Anne Mangeney et son équipe à l’Institut de physique du globe de Paris.

Une première pour le Groenland de l’Est

S’il s’agit d’une première pour le Groenland de l’Est, les glissements de terrain géants ont déjà touché d’autres zones comme l’Alaska dès 2015. Ils ont plus souvent lieu dans des zones polaires, précise Clément Hibert qui souligne que cette collaboration assez unique a permis de mettre en lumière les glissements de terrain et l’impact que peut avoir le réchauffement climatique sur ces catastrophes naturelles, en particulier du fait du recul très rapide des grands glaciers polaires et de haute montagne. 

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