Sur les traces des traditions culturelles des singes japonais
Les traditions, le propre de l’homme ? Pas vraiment. Lavage de patates douces, chevauchée de cerfs, jeux avec des pierres pour retarder le déclin cognitif lié à l’âge… le documentaire « Saru, une histoire de transmission culturelle des macaques japonais », réalisé par Aurélien Prudor avec Cédric Sueur, éthologue spécialiste du sujet à l'Institut pluridisciplinaire Hubert Curien (IPHC - CNRS/Unistra), s’attache à montrer qu’il existe une culture non humaine.
On parle d’un comportement culturel lorsque celui-ci n’apparait que dans certains groupes d’une espèce, qu’il se propage socialement et perdure
, souligne la commentatrice du film. Pour les mettre en évidence, Cédric Sueur et Aurélien Prudor ont sillonné le Japon de janvier à mars 2023 à la rencontre de communautés de macaques ayant chacune développé ses propres traditions.
Le lavage des patates douces
Premier arrêt sur l’Ile de Kojima, avec un saut temporel en 1952. Date à laquelle la présence d’une culture chez les macaques japonais est pour la première fois mise en évidence grâce aux travaux de l’anthropologue japonais Kinji Imanishi. Ce dernier propose des patates douces aux singes. Une femelle développe alors un nouveau comportement en lavant ses patates dans la rivière, une technique ensuite copiée par ses congénères.
Les prélats des onsen
Des singes se prélassent dans les vapeurs chaudes d’un onsen, une source naturelle, par moins quinze degrés…, la deuxième étape du voyage nous mène à Jigokudani. Les macaques s’y baignent depuis les années 60 par imitation des humains. Un bassin leur est même entièrement réservé, une pratique qui ne s’observe pas ailleurs dans le pays.
Les singes chapardeurs
À Nikko, les singes sont devenus de véritables voleurs. Ils attaquent les mamies qui viennent de faire leurs courses
, raconte Cédric Sueur. Une tradition qui se perpétue de génération en génération. Plus les adultes le font, plus les enfants vont être violents avec les humains. L’observer permet de mettre en place des pratiques pour changer ces comportements
, poursuit l’éthologue qui distille quelques règles de sécurité au passage à son binôme, comme ne pas laisser trainer le trépied de sa caméra qui peut se transformer en arme de jet.
Les pierres pour ralentir le vieillissement cognitif
À Arashiyama, dans un parc à singes, les primates nourris à souhait ont trouvé d’autres occupations que la recherche de denrées. Ils tapent, frottent, tracent des traits avec des pierres. Ils ont 48 façons différentes de jouer avec elles. Une activité qui selon les études retarde la dégénérescence neuronale en stimulant le cerveau
, rapporte Cédric Sueur parti à la rencontre pour cette étape de Michael Huffman, chercheur qui le premier a observé ces comportements à la fin des années 70.
La chevauchée fantastique des cerfs
Ils les épouillent aussi et ont même parfois des relations sexuelles
Sur l’ile de Yakushima, forêt ayant inspiré Princesse Mononoke, autre scène qu’ils ont pu par chance filmer : des singes chevauchant des cerfs. Les cervidés ont tissé des liens avec cette sous-espèce de macaques japonais qui leur apportent parfois de la nourriture inaccessible pour eux. Ils les épouillent aussi et ont même parfois des relations sexuelles
, précise Cédric Sueur.
Le sarudango
Sur l’ile de Shodoshima, le soir, les singes s’agrègent en tas pour se réchauffer. « Le saru dango peut aller jusqu’à 100 individus », rapporte Cédric Sueur. Ces derniers étant plus ou moins bien placés en fonction de la hiérarchie du groupe.
La danse des singes
Le voyage se termine à Tokyo où certaines familles humaines élèvent des singes et leur apprennent la danse des singes ou sarumawashi.
Ces macaques sont considérés comme une peste, certains sont utilisés pour la recherche, mais c’est une espèce qui a une forme d’intelligence, une certaine conscience. Le macaque est le premier animal chez qui une forme de culture a été mise en évidence, avant les chimpanzés. Les scientifiques parlent souvent de diversité génétique pour les animaux, mais pas de diversité culturelle alors que c’est aussi important : voir comment les cultures animales se sont développées, comment elles évoluent avec le changement climatique
, conclut le chercheur.
- Voir aussi le livre de photographies : « Saru, singes du japon » qui a inspiré le documentaire
- Pour aller plus loin lire aussi : "Un polar pour s’interroger sur l’éthique et l’expérimentation animale"
Rendez-vous le 13 février
La première projection en France du film « Saru, une histoire de transmission culturelle des macaques japonais » aura lieu à l’Université de Strasbourg. En présence de Cédric Sueur, primatologue, d’Aurélien Prudor, réalisateur du documentaire, de Hiroyuki Uchida, Consul du Japon à Strasbourg, de Mathieu Schneider, vice-président Culture science société de l’université, ainsi que de Michèle Forte, directrice de la Maison universitaire France-Japon.
Le documentaire de 32 minutes a été financé par le CNRS, l’Université de Strasbourg, l’ambassade de France au Japon et l’Institut universitaire de France. Cédric Sueur et Aurélien Prudor se sont connus grâce à un précédent documentaire réalisé par ce dernier avec l’IPHC sur les querelles de voisinage chez les écureuils.
- Rendez-vous le 13 février à 17 h dans l’Amphithéâtre Beretz, bâtiment de la Présidence. Nombre de places limitées, inscriptions à ce lien
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