Par Margaux Metzinger et Noémie Choquet
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Si j’étais un trou noir

Série « Si j'étais » 1/5. Objet stellaire source de nombreuses fantasmagories, les trous noirs sont considérés par Frédéric Marin comme « l’un des plus grands mystères de l’Univers ». Ce chercheur de l’Observatoire astronomique de Strasbourg étudie ce phénomène complexe depuis une dizaine d’années. Rencontre avec le trou noir Sagittarius A, son objet d’étude, à qui nous avons posé quelques questions exclusives.

Pouvez-vous vous présenter ?

Aspirateur le plus efficace de l’univers, j’avale tout, y compris la lumière. Si « trou noir » est mon nom usuel, je fus longtemps qualifié d’astre gelé jusqu’à ce que mon ami le Dr. Wheeler me donne enfin un nom en 1967. Vous et moi, nous nous connaissons depuis plus de cent ans. L’un des premiers à m'avoir démasqué est Einstein, grâce à sa théorie de la relativité. Avec ses calculs, il a théorisé le concept de trou noir qui me définit si simplement : Une masse incroyablement grande dans un tout petit volume capable de courber le temps et l’espace. Imaginez la Terre et tout ce qu’elle contient dans un espace plus petit qu’un dé à coudre : très exactement une sphère de moins de 9 mm de rayon. Ce serait ça, un trou noir.

Au passage, j’ai une petite famille. Il y a les cadets : les petits trous noirs, de la masse de votre soleil, avec assez peu d’influence, à l’échelle de la galaxie. Ensuite, il y a les moyens qui n’ont jamais été observés, à cause sûrement de leur timidité et finalement les aînés, les trous noirs dits « supermassifs », dont je fais partie. Je suis situé au centre de votre galaxie, soit à environ 25 600 années-lumière de la Terre. Ça peut paraître proche mais vous n’avez rien à craindre : nous ne nous rencontrerons jamais. Il vous faudrait des dizaines de milliers d’années pour me rejoindre.

À quoi ressemblez-vous concrètement ?

Difficile à dire. Même les chercheurs ne peuvent pas me représenter fidèlement car je suis en quatre dimensions : largeur, hauteur, profondeur et temps. Disons qu’il faudrait plutôt me voir comme une sorte d’entonnoir en trois parties : une zone d’influence, qui correspondrait aux bords de l’entonnoir, un horizon des événements, qui se situe à la limite entre les bords et mon centre, et finalement le « puits » infini qui occupe mon coeur.

Pourtant, même si les astrophysiciens ne savent pas à quoi je ressemble et que je suis invisible pour vos instruments, ils peuvent me repérer grâce à ma gloutonnerie. Comme j’adore gober ce qui passe près de moi, ils observent mes effets sur les éléments environnants. Je vous l’ai dit, j’avale même la lumière. Et lorsque j’ai faim, il m’arrive même de me doter d’une ceinture de matière, d’un disque d’accrétion, qui trahit ma présence, comme ce que l’on a pu observer pour ma cousine M87.

Pouvez-vous expliquer simplement ce qu’il se passe à l’intérieur de vous ?

Question délicate. Prenez une particule de lumière émise par une étoile et dotée d’une jolie montre. Lorsque cette particule quitte l’étoile pour arriver dans ma zone d’influence, elle subit une première déformation. Ainsi, si pour son étoile il s’est écoulé dix minutes, il s'en est écoulé seulement deux pour la particule. Et ça ne va pas en s’arrangeant.

Plus la particule de lumière est aspirée vers l’horizon des événements, plus le temps s’étire pour elle. Paradoxalement, elle va subir un étirement de plus en plus fort, ce qui va la faire changer de couleur, à en rougir. Parvenue à l’horizon des événements, c’en est fini pour elle. Elle assistera à la fin de l’univers à cause de la différence de temporalité. Enfin, les scientifiques supposent qu’arrivée en mon cœur, des phénomènes encore plus fous se passent, mais ça je leur laisse le plaisir de se creuser les méninges.

Comment peut-on vous étudier ?

Puisque j’avale tout et que je déforme le temps, vous ne pourrez jamais me sonder. Premièrement, votre sonde ne pourrait pas faire machine arrière et deuxièmement, elle ne subirait plus la même temporalité que sur Terre. Difficile de travailler avec ça ! Même si je ne suis ni super héros ni vengeur masqué, vous ne connaîtrez jamais ma réelle identité ! Les chercheurs me disent « potentiel » car certains doutent de mon existence mais on ne peut pas me réfuter. Mais bon, j’ai bien le droit de garder mes petits secrets…

Frédéric Marin, astrophysicien à l'Observatoire astronomique de Strasbourg depuis 2010

Après avoir étudié la physique-chimie à l’Université d’Annecy jusqu’en 2007, Frédéric Marin entame une licence de physique à l’Institut de technologie de Dublin en Irlande. En 2019, il valide un master, « champs, cosmos et particules », à Montpellier. Poussé par son directeur de thèse dont l’objet d’étude porte sur les composants de la lumière, le chercheur suit naturellement les travaux de son mentor avant de s’intéresser, de fil en aiguille, au phénomène des trous noirs. La même année, il intègre l’Observatoire astronomique de Strasbourg comme chercheur.

Depuis 2017, Frédéric Marin étudie l'anthropologie dans l’espace. Sous ce nom se cache un ensemble d’études dont l’objectif est de comprendre comment l’humain pourrait survivre dans l’espace. Il traite ainsi les réactions physiologiques de notre corps pour développer des outils permettant de se mouvoir dans le cosmos. Parmi eux, se dégagent par exemple la confection de bras robotiques et la pousse de plantes comestibles sans avoir besoin d’utiliser de terre. L’astrophysicien obtient en 2019 un poste de chercheur permanent pour le CNRS. Ses travaux portent sur l’observation des composants de la lumière dans l’infrarouge aux rayons gamma. Désormais, il travaille en collaboration avec la Nasa sur l'envoi d’un satellite baptisé IXPE pour Imaging X-ray Polarimetry Explore. Son but ? Étudier les composants de la lumière des cœurs des galaxies, c'est-à-dire des trous noirs dits supermassifs.

Cet article a été réalisé dans le cadre d'un atelier de vulgarisation scientifique pour lequel des étudiants sont partis à la rencontre de chercheurs. Objectif : rédiger un texte destiné à présenter un sujet d’étude scientifique et le faire parler à la première personne du singulier.

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