Si j'étais... une fourmi
Série « Si j'étais » 1/6. Vous êtes-vous déjà demandé, mais que font ces fourmis noires dans mon jardin, cachées dans leur fourmilière ? Sont-elles des centaines ? Des milliers ? A l’Institut pluridisciplinaire Hubert Curien (IPHC - CNRS/Unistra), le chercheur François Criscuolo et toute une équipe d’étudiants et d’ingénieurs s’intéressent à cet insecte aux mécanismes de vieillissement si particuliers.
Qui suis-je ?
Je suis une fourmi ouvrière qui compte plus de 16 544 sous-espèces dans le monde et majoritairement dans les pays tropicaux. Je mesure entre 2 et 30 mm. Je peux vivre entre 2 et 3 ans, tandis que ma reine peut vivre jusqu’à 20 ans. Je fais partie de la famille des hyménoptères.
Pour communiquer avec les autres, j’utilise mes antennes qui me permettent de «sentir» les molécules chimiques de mon environnement. J’utilise également mes phéromones pour identifier les membres de ma colonie, signaler la présence de nourriture ou d’un danger, ou encore pour construire un nid.
En tant qu’ouvrière et pilier de la société, je travaille pendant une partie de l’année. En hiver, j’entre en hibernation pour une durée de 3/4 mois et je reprends le travail lorsqu’il fait beau. Je remplis des fonctions vitales. Je peux ainsi être nurse, attentive aux besoins des larves, façonner et entretenir notre réseau de galeries. Je peux aussi être fourrageuse, et sortir pour explorer l’environnement à la recherche de nourriture.
Comment fonctionne ma société ?
Nous avons une organisation sociale très stricte où chacune d’entre nous est spécialisée dans un rôle spécifique.
La reine, le cœur de notre société, consacre son existence à la reproduction via la ponte des œufs, assurant la dynamique positive de notre colonie. Son rôle est crucial. Sans elle, notre famille ne pourrait grandir ou se maintenir. Elle conserve les spermatozoïdes tout au long de sa vie. Les reines non-fécondées ont même des ailes (qu’elles perdront) !
Une fois leur mission accomplie, ils finissent par mourir
Les soldates, elles, assurent la sécurité de la fourmilière, gardent l'entrée et repoussent les autres espèces. Il y a aussi les fourrageuses. Leur rôle consiste à explorer les environs, cherchant de la nourriture.
Quant aux mâles, leur vie est très courte et dédiée à une seule et unique mission : participer au vol nuptial et féconder les futures reines. Une fois leur mission accomplie, ils finissent par mourir.
Où est-ce que je me situe ?
Ma fourmilière se situe sous terre. J’aime parcourir toutes sortes de surfaces : la terre, les arbres, etc. Comme je suis une ouvrière, je bouge souvent notamment pour entretenir notre habitation commune, la fourmilière, ou chercher à manger à ma famille. Ce qui nous attire, c’est tout ce que l’on trouve. C’est pour ça que nous sommes présentes lors de vos pique-niques !
Autre pêché mignon : les insectes, dont la chasse nous donne un rôle crucial dans l’écosystème. Mais certaines d’entre-nous sont végétariennes ou même cultivent des champignons ou des pucerons sur les plantes et prélèvent leur miellat contre une protection vis-à-vis de leurs prédateurs.
Pourquoi m'a-t-on étudiée ?
On m’étudie, car les scientifiques sont curieux de savoir comment moi et mon espèce, nous nous organisons socialement et comment fonctionne notre réseau.
Les chercheurs veulent également en savoir plus sur notre système de reproduction, notre mécanisme de vieillissement et la diversité de notre longévité. En effet, la théorie de l’Evolution prédit que se reproduire beaucoup et souvent limite la longévité. Or, notre reine est une exception, qui est donc un modèle unique.
Chez nous les fourmis, il y a ce qu’on appelle un système immunitaire social
Parmi les découvertes, il y a le fait que chez nous les fourmis, il y a ce qu’on appelle un système immunitaire social. La reine n’est jamais exposée aux pathogènes extérieurs, car notre fonctionnement passe par tout un réseau social qui la protège. Elle n’a donc pas besoin d’investir de l’énergie dans son système immunitaire. Cela pourrait expliquer sa longévité. Cette découverte peut également avoir un intérêt quand on essaie d’imaginer un système d’organisation d'hôpital qui viserait à éloigner les pathogènes des patients, tout comme nous les éloignons de nos reines.
Mais pour aller plus loin, il faudra mieux comprendre nos organisations sociales et avoir recours à des mesures invasives pour analyser ce qu’il y a en nous et qui explique nos longévités contrastées entre ouvrières et reines, alors que nous partageons les mêmes gènes entre mères et sœurs…
Etudier les fourmis de façon invasive, un acte acceptable ?
Dans le monde de la recherche, les comités d'éthique sont des instances de réflexion essentielles qui attirent l'attention des personnels de recherche et de direction sur les dimensions éthiques et sociétales de leurs recherches. Au sein du CNRS, il y a un comité d’éthique appelé le Comets. L’IPHC, comme toutes les unités du CNRS, doit se conformer aux décisions appliquées par ce comité, et aux autorisations d’expérimenter délivrées par le Ministère français de lʼenseignement supérieur, de la recherche et de lʼinnovation, garantissant ainsi la sécurité et l’éthique des projets menés, notamment ceux impliquant des expériences sur des animaux.
Si aujourd’hui, il est acceptable d’étudier les fourmis de façon invasive afin d’analyser leur mécanisme de survie et de vieillissement, ce ne sera peut-être plus automatique demain. La recherche est un monde vivant lui-aussi, qui évolue avec les considérations sociétales.
La série si j'étais
Dans le cadre d'un atelier de vulgarisation scientifique, des étudiantes et des étudiants sont partis à la rencontre de chercheuses et de chercheurs. Objectif : rédiger un article destiné à présenter un sujet d’étude scientifique et le faire parler à la première personne du singulier.
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