Par Thileli Ariana Hachemi / Chanez Tifraouine
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Si j'étais... le Transsibérien

Série « Si j'étais » 2/6. Emilia Koustova, directrice adjointe du Groupe d'études orientales, slaves et néo-helléniques (GEO - Unistra), nous fait voyager dans le temps pour découvrir comment le Transsibérien est venu au monde ainsi que le lourd symbolisme qu’il représente pour la Russie et les anciennes républiques soviétiques.

Me voici la légende des voies ferroviaires !  

Je suis le Transsibérien ! le plus long chemin de fer constitué actuellement de plusieurs voies ferrées, une œuvre titanesque pour son époque.  Je relie la Russie européenne à l’océan Pacifique. Je traverse trois pays : la Russie, la Mongolie et la Chine.

Le voyage à bord de mes wagons de Moscou à Vladivostok dure sept jours. Mon personnel travaille sans relâche pour assurer une atmosphère chaleureuse pour mes passagers, afin de vivre un moment mémorable tout en profitant d’une variété de chefs-d’œuvre de la nature pour éblouir les esprits aventuriers qui aiment le confort.

J’inspire aussi infiniment les poètes, écrivains et artistes. Comme Blaise Cendrars, un écrivain franco-suisse, qui m'a immortalisé dans La Prose du Transsibérien en 1913, faisant de moi un symbole d'exotisme et de liberté.

Petit voyage dans le temps ?  Les enjeux autour de ma naissance

Pour prolonger les lignes qui existaient déjà entre Moscou, Saint-Pétersbourg et la région de l'Oural, un grand chantier est mené entre 1891 et 1916. Ma première fondation est posée par le Tsar Nicolas II quand il était encore prince en 1891. A mes débuts j’étais un symbole du pouvoir tsariste, avant de devenir la plus grande innovation de l’époque qui portait en elle les espoirs de toute une nation.

Un outil clé des stratégies militaires et géopolitiques pour assurer l’assise russe sur l’Extrême-Orient et Vladivostok

L’expansion du contrôle russe sur la région de la Mandchourie en 1900, placera les Tsars nez à nez avec une autre puissance, l’Empire japonais qui contrôle alors la Chine. C’est là que j’entre en jeux en tant qu’outil clé des stratégies militaires et géopolitiques pour assurer l’assise russe sur l’Extrême-Orient et Vladivostok. Une décision  importante est prise afin qu’une partie des rails traverse la Chine sur les plaines et ensuite le territoire russe. J’ai aussi servi pour une dimension économique, puisque les régions que mon chemin de fer traverse sont riches en matières premières et gisements, ce qui finira par les développer et les peupler.

Des camps du Goulag aux chantiers Komsomols 

Avec la naissance de l’Union soviétique, mon rôle change pendant que ma construction continue. Je suis étendu vers le nord pour m’éloigner de la frontière chinoise, et les détenus du Goulag forment la majorité de la main d’œuvre. Ce qui souligne le début d’un temps sombre rempli de violence. On dit en Russie que mon chantier est fondé sur les ossements des prisonniers mais aussi des déportés des territoires occidentaux de L’URSS.

Dans les années 1970, je suis ressuscité par le chantier Komsomol. Ce ne sont plus des prisonniers mais des jeunes enthousiastes qui viennent construire mes rails. Le gouvernement soviétique lance d'immenses campagnes propagandistes pour attirer la jeunesse communiste sur mes chantiers. Ces gens rêvent d'un avenir radieux et voient en moi une source d'espoir.

Mais une fois sur place, beaucoup découvrent une réalité contradictoire : des conditions de vie difficiles, la corruption omniprésente et l'énorme décalage entre les idéaux qu'on leur a vendus et la dureté du travail quotidien. Pourtant, certains persévèrent, voyant encore en moi un symbole d'unité nationale.

Une dualité éternelle

Je présente un paradoxe. J'incarne la souffrance humaine autant que l'ambition démesurée d'un pays immense. Je suis un témoin silencieux des sacrifices colossaux qui m'ont donné vie tout autant qu'un chemin vers l'aventure pour ceux qui osent me parcourir aujourd'hui.

Une légende vivante qui continue d'unir les hommes à travers les âges et les distances infinies

Alors, lorsque vous monterez à bord de mes wagons, qu’ils soient modestes ou luxueux, souvenez-vous que chaque rail raconte une histoire. Une histoire où se mêlent espoir, douleur et grandeur.

Je suis le Transsibérien : une légende vivante qui continue d'unir les hommes à travers les âges et les distances infinies.

Le parcours d'Emilia Koustova

Emilia Koustova est née et a grandi à Moscou en Russie, pendant l’époque de l’URSS. Elle suit des études d’histoire à Moscou, puis déménage à Paris pour faire un Diplôme d’études approfondies en histoire et un master de traduction, sans oublier de réaliser une thèse sur l’histoire soviétique en Italie à Saint-Marin. Elle travaille actuellement comme enseignante-chercheuse à l’Université de Strasbourg, spécialisée dans le 20e siècle russe et soviétique. Une période relativement courte mais chargée en évènements et en bouleversements, et aussi en violences un peu partout dans le monde, précise la chercheuse. 

Le sujet du train l’intéresse non seulement pour son impact culturel et historique sur la Russie mais aussi du fait qu’elle a grandi entourée de trois générations de cheminots. Malheureusement, Emilia Koustova n’a pas pu effectuer une recherche complète sur le Transsibérien lui-même. En cause, le régime autoritaire russe et la guerre menée par ce dernier contre l’Ukraine, qui bloquent l’accès aux archives. Les archives lituaniennes lui permettent tout de même de travailler sur les répressions et les déplacements forcés soviétiques vers la Sibérie.

La série si j'étais

Dans le cadre d'un atelier de vulgarisation scientifique, des étudiantes et des étudiants sont partis à la rencontre de chercheuses et de chercheurs. Objectif : rédiger un article destiné à présenter un sujet d’étude scientifique et le faire parler à la première personne du singulier.

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