Par Marion Riegert
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Sexe du cerveau : « Nous sommes avant tout des individus… »

« Le cerveau a-t-il un sexe ? » C’est à cette épineuse question que Marie-José Freund-Mercier, professeur émérite à l'Institut des neurosciences cellulaires et intégratives (Inci – Unistra/CNRS), s’est attaquée du point de vue des neurosciences lors d’une conférence organisée par le Jardin des sciences dans le cadre du cycle « Cerveau et santé, d'un sexe à l'autre. »

Certains postulent qu’il n’y a pas de différence. Pour moi, même si elles sont petites cela ne veut pas dire qu’elles n’existent pas !, souligne d’emblée Marie-José Freund-Mercier qui précise que la différence des sexes n’est pas l’inégalité, c’est un prisme qu’il faut écarter. Pas question non plus de parler de genre. Le sexe se définit d’un point de vue biologique. En présence de testicules et de pénis on parlera de mâle et en présence d’ovaires de femelle.

Pour rappel, les femelles ont des chromosomes XX, alors que les mâles ont des chromosomes XY. Le sexe est dû à la présence sur le chromosome sexuel Y du gène sry. Ce dernier induit la formation des testicules et donc la production de testostérone qui différenciera le cerveau mâle chez les rongeurs. A l’âge adulte, le rongeur aura des fonctions de reproduction mâle et un comportement mâle avec une attirance pour les femelles. En l’absence de testostérone, le comportement de reproduction sera cyclique avec un comportement femelle et une attirance pour les mâles chez les femelles. Ces différences entre les mâles et les femelles sont très nettes et se vérifient dans l’espèce humaine.

Testostérone et épigénétique

Autre différence d’ordre physiologique, le volume du cerveau. Plus élevé chez l’homme que chez la femme en lien avec la taille des individus. Ce qui n’a rien à voir avec les capacités cognitives, glisse la chercheuse. La structure cérébrale est différente chez les hommes et les femmes, ainsi le pourcentage de substance grise (corps cellulaires de neurones) est plus fort chez les femmes que chez les hommes, ces derniers ayant un plus grand pourcentage de substance blanche (connexions nerveuses). Ces différences sont souvent petites, elles peuvent toucher des régions impliquées dans la mémoire, la sensibilité…

Des différences dues à la testostérone mais pas que. D’autres facteurs existent qui agissent via des mécanismes épigénétiques*. Il est certainement possible de modifier le fonctionnement du cerveau et de renforcer, diminuer ou même inverser, des traits psychologiques ou cognitifs masculins ou féminins par l’éducation, la culture, la pression sociale, etc. Les chercheurs ont ainsi montré qu’une rate dont la mère n’est pas maternelle, élevée par une rate au comportement maternel, développe cette même attitude bienveillante avec ses petits.

Au-delà de la vision binaire, la mosaïque du cerveau

Ainsi, abstraction faite des comportements de reproduction et de la sexualité, notre cerveau est à la fois masculin et féminin, souligne Marie-José Freund-Mercier qui évoque la théorie de la mosaïque des cerveaux humains élaborée par Daphna Joel, une neuroscientifique israélienne. Selon elle, la vision binaire du cerveau homme/femme est à revoir. Pour assoir sa théorie, elle a analysé le volume de matière grise de 116 régions du cerveau et sept traits psychologiques chez plusieurs centaines d’individus des deux sexes. En attribuant une couleur spécifique pour les volumes ou les traits à tendance masculine, une autre couleur s’ils sont à tendance féminine et une troisième pour les résultats intermédiaires, c’est-à-dire aussi fréquents chez les hommes et les femmes, elle réalise des tableaux où chaque ligne représente un individu et chaque colonne une région cérébrale ou un trait psychologique.

Nous sommes avant tout des individus uniques présentant des caractéristiques tantôt féminines, tantôt masculines, tantôt intermédiaires…

Résultat : L’aspect général du tableau fait apparaitre une dominante de couleur propre à chaque sexe avec toutefois, pour les deux sexes, un mélange de couleurs donnant l’aspect d’une mosaïque. Aucune ligne n’est d’une seule couleur, il y a parfois plus de différences entre deux filles qu’entre un garçon et une fille. L’image de notre cerveau n’est pas fixe et change au cours de notre vie. Nous sommes avant tout des individus uniques présentant des caractéristiques tantôt féminines, tantôt masculines, tantôt intermédiaires…

  • Retrouvez la vidéo de la conférence sur YouTube.

Cycle de conférences « Cerveau et santé, d'un sexe à l'autre »

Du 2 février au 30 mars, le Jardin des sciences organise des rendez-vous les jeudis soirs pour détricoter les imbrications entre le cerveau et le sexe. Longtemps considérée comme une évidence, l’existence d’une différence entre cerveaux masculin et féminin a notamment contribué à légitimer un positionnement social des femmes inégalitaire, voire discriminant. Depuis de nombreuses années, les recherches scientifiques ont permis de mieux comprendre le fonctionnement de cet organe et de mettre en avant sa plasticité exceptionnelle, d’où sa perméabilité à l’environnement dans lequel évoluent les individus. Pour autant, des disparités biologiques peuvent-elles conduire à considérer qu’à certains égards le cerveau a aussi un sexe ?

Un ouvrage sur l’« Ocytocine : entre mythe et réalité »

Durant sa carrière, Marie-José Freund-Mercier se spécialise en neurophysiologie et étudie l’ocytocine dans le contrôle du réflexe d’éjection de lait et dans celui de la douleur. Durant la crise de la Covid-19, elle décide de réaliser un ouvrage scientifique intitulé Ocytocine : entre mythe et réalité : Pour faire le point, à rebours de l’emballement médiatique autour de cette petite molécule dont les effets sont trop souvent enjolivés, précise Marie-José Freund-Mercier. Paru aux éditions Doin, il présente notamment les rôles « historiques » de l‘ocytocine, neurohormone secrétée par le cerveau dans la circulation sanguine, pour favoriser la naissance puis l’allaitement. Les effets neuromodulateurs de l’ocytocine sont ensuite analysés dans le comportement sexuel, l’attachement parental et dans les liens au sein des couples, dans des modèles animaux et dans l’espèce humaine.

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