Prisons : « une économie de grande pauvreté »
Comment s’organise la vie économique en prison ? Quels moyens de subsistance les détenus ont-ils ? A l’heure où le ministre de la justice Gérald Darmanin souhaite faire payer des frais d’incarcération, Melchior Simioni, spécialiste de la socio-économie de l’univers carcéral au laboratoire Sociétés, acteurs et gouvernement en Europe (Sage – CNRS/Unistra), nous éclaire sur ce monde fermé où se côtoient économie officielle et cachée.
Pourquoi ce sujet ?
J’ai découvert cet univers lorsque j’étais étudiant à travers une association dans laquelle je donnais des cours à des détenus. J’ai tout de suite été attentif à la vie économique de la prison. Les détenus doivent pouvoir consommer, échanger certains biens…
Quel a été votre terrain de recherche ?
Ma thèse a reposé sur un établissement pénitentiaire réservé aux longues peines, une « Maison centrale » située dans le bassin parisien. Pendant six mois, j’y suis allé trois à quatre fois par semaine pour faire des entretiens, puis des observations dans certains lieux, comme les ateliers où les détenus travaillent. Une partie de mes données provient également d’une grande enquête statistique réalisée par l’Observatoire français des drogues et des tendances addictives sur la consommation de drogues en prison à laquelle j’ai participé. Globalement, je n’ai pas eu de mal à avoir des informations même s’il reste des segments plus compliqués à étudier, comme les échanges de services parfois tabous, à l’image de la prostitution entre détenus.
Combien coûte la vie en prison ?
200 euros par mois pour vivre dignement
On pourrait penser que la vie en prison ne coûte pas d’argent, tous ont accès à deux repas par jour gratuits et un petit déjeuner. Mais de l’avis des détenus et des personnels pénitentiaires la nourriture est de mauvaise qualité et insuffisante, il y a donc une nécessité de compléter les repas. Selon les estimations, un détenu a besoin d’environ 200 euros par mois pour vivre dignement, pour la nourriture mais aussi louer un frigo, la télévision…
Quelles ressources les détenus ont-ils à disposition ?
Aujourd’hui, environ 30 % des détenus travaillent. Depuis 2009, une rémunération minimale faible a été actée, mais avant cette rémunération échappait à toute réglementation. Ceux qui travaillent pour des entreprises privées touchent 45% du smic et sont payés à la tâche. Ceux qui œuvrent pour le compte des prisons ont un salaire qui varie de 20 à 33% du smic horaire. Ce qui fait une moyenne de 280 euros par mois. D’autres détenus ne reçoivent presque pas d’argent : pour ceux qui disposent de moins de 50 euros par mois, appelés les détenus « indigents », l’administration pénitentiaire propose quelques aides, avec notamment la fourniture de kits d’hygiène et le versement de 20 euros mensuels. Les détenus peuvent aussi toucher certaines prestations sociales comme la retraite ou les allocations pour personnes en situation de handicap.
Il y a un système financier officiel propre à la prison ?
Chaque détenu possède un compte de pécule, sur lequel sont déposées ses ressources monétaires. Les détenus peuvent y transférer de l’argent de leurs proches, de leurs comptes en banque externes et doivent y mettre le salaire du travail réalisé en prison. L’argent peut ensuite être utilisé au sein de la prison pour acheter des biens à la « cantine », par le biais de bons de commande. L’administration, sorte de banquier des détenus, établit des relevés de compte chaque mois. Elle réalise aussi des prélèvements sur les comptes de pécule si les sommes perçues sont supérieures à 200 euros mensuels. Un pour le remboursement des parties civiles et un pour le pécule de libération, sorte d’épargne forcée versée à la sortie du détenu.
Il y a aussi toute une vie économique informelle ?
Une grande partie de la vie économique est informelle. En théorie, les détenus n’ont pas le droit d’échanger des biens mais un système de dons et de contres dons s’est mis en place. Les détenus partagent des repas, se prêtent des DVD, échangent des cigarettes, une vie tolérée par l’administration.
Une vie économique plus illégale avec des échanges de drogues
A côté, il y a une vie économique plus illégale avec des échanges de drogues, notamment le cannabis consommé quotidiennement par quelque 25 % des détenus. Pour les transactions plus onéreuses, comme pour acheter un téléphone portable, dont le prix est multiplié par deux en prison, ils peuvent demander à des personnes de l’extérieur de faire un virement.
Y a-t-il des choses qui vous ont étonné ?
J’ai été étonné par le degré de tolérance à l’égard de la vie économique illégale : je pensais que la consommation de drogues était complètement cachée, alors qu’elle fait plutôt partie de l’ordinaire de la vie en prison. Mais aussi par l’inventivité des détenus pour déployer des stratégies de subsistance. C’est une économie de grande pauvreté dans laquelle il faut sans cesse se débrouiller pour se procurer des bien ordinaires comme des chaussures, une paire de lunettes. Il y a beaucoup d’enjeux matériels dans la vie d’un prisonnier.
Quel regard portez-vous sur la proposition de Gérald Darmanin de faire payer des frais d'incarcération ?
Sa proposition a beaucoup surpris les professionnels de la prison et les chercheurs qui travaillent sur le sujet car elle parait désuète. Depuis la création des prisons pour peine au 19e siècle, il existait une contribution financière pour les « frais d’entretien » prélevée sur les revenus du travail des détenus. Ce système a été abandonné en 2003. J’ai fait des estimations, si le gouvernement prélevait aujourd’hui les 30% de détenus qui travaillent dans les prisons, cela représenterait 25 millions d’euros par an. Une somme minime par rapport au budget des prisons qui est de 4 milliards d’euros. Si le bénéfice comptable est faible, le retentissement sur la vie des détenus serait en revanche important. Il pourrait faire basculer dans une grande précarité des détenus déjà en subsistance, mais aussi déstabiliser l’équilibre entre détenus.
Des travaux sur le matching
En plus de ses travaux sur la prison, Melchior Simioni s’intéresse au matching d’appariement. Il s’agit de mises en relations où un choix est réalisé des deux côtés du dispositif comme dans Parcoursup ou sur les sites de rencontres. Il faut non seulement choisir cette ressource mais aussi que cette ressource nous choisisse en retour. Nous souhaitons ainsi montrer comment ces dispositifs illustrent un nouveau type de lien social avec un travail de mise en récit de soi-même pour accéder à telle ou telle ressource.
Ce système existe aussi en prison pour le choix des cellules où l’administration tient compte de la demande des détenus. Pour organiser sa vie économique, il est plus simple d’être proche de ses connaissances. Mais en prison, l’information est un enjeu de pouvoir. Selon le choix du détenu, cela donne aussi des informations à l’administration sur lui.
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