Par Marion Riegert
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Pascal Dethurens à la recherche du bonheur

Loin du spleen et de la mélancolie, d’un naturel optimiste, Pascal Dethurens décide de s’intéresser aux représentations du bonheur en 2018. Deux années de recherche et une année d’écriture plus tard, le chercheur en littérature comparée au sein de l’unité de recherche Configurations littéraires, propose un essai, paru chez Hazan en septembre 2022 sur cette vaste notion, intitulé : « Le bonheur dans la littérature et la peinture. »

Qu'est-ce que le bonheur ?

S’il n’y avait qu’une définition, je n’aurais pas eu besoin d’écrire un livre entier ! Etymologiquement, le mot "bonheur" vient du latin "bonum augurum", de bon augure, qui se présente bien. Un terme renvoyant au bonheur comme une chance. Mais ce n’est qu’une des définitions possibles du mot, qui a évolué au fil des siècles et des cultures. Les textes stoïciens disent ainsi que le bonheur, c’est savoir se contenter de peu de choses. Dans l’histoire de la philosophie du 18e siècle, l’idée s’est répandue que l’aspiration au bonheur était universelle, une invention du bonheur pour tous qui n’existait pas au Moyen Age. Période à laquelle le bonheur se situe notamment dans la conception religieuse, elle-même fondée sur des notions comme l’amour du prochain, le don, le salut. Aujourd’hui, nous évoquons le droit au bonheur et il nous en faut tellement que nous avons perdu la notion d’un bonheur simple.

Pourquoi vous intéresser à ce sujet ?

J’ai constaté qu’en littérature ou en philosophie, la tendance était plutôt à des recherches sur la conscience malheureuse, la mélancolie, les crises, les déchirements…. Des auteurs comme Dostoïevski, Schopenhauer, Beckett ou Kafka tiennent le haut du pavé. Je dois avouer que ces sujets m’intéressent peu et j’ai voulu prendre la tradition à rebours. Ce livre, je voulais le faire depuis longtemps. Je souhaitais ainsi proposer une relecture des musées et des bibliothèques, une contre-lecture qui rende justice à la face lumineuse de notre culture. Est-ce parce que je suis un optimiste endurci ?

Trouver des moments marquants de bonheur

Comment abordez-vous cette notion très vaste ?

J’ai choisi des auteurs, des artistes, de l’Antiquité à nos jours, en me limitant à la culture occidentale. J’ai lu beaucoup d’historiens de l’art, de philosophes, beaucoup d’oeuvres littéraires, vu quantité de tableaux sur le bonheur. Je ne suis pas convaincu que pour chaque époque il y ait une histoire du bonheur. Plutôt que de faire une chronologie, j’ai choisi d’aborder le sujet de manière thématique. Trouver des moments marquants de bonheur comme l’amour, la fête, des lieux aussi, comme le jardin, l’Arcadie, l’ailleurs. J’ai eu l’occasion de tester le sujet auprès de mes étudiants lors de séminaires de master durant deux ans. Grâce à leurs questions, ils m’ont permis de mieux réfléchir sur le sujet. Mon livre leur doit beaucoup.

Où peut-on trouver le bonheur ?

Dans les tableaux flamands du 17e siècle, il y a beaucoup de scènes d’intimité représentées avec des familles ou des couples faisant la fête, ce qui semble suffire à leur bonheur. Dans le Décaméron de Boccace, l’auteur évoque dix amis qui n’ont pas envie de mourir pendant l’épidémie de peste et cherchent comment être heureux alors que le monde est malade. C’est un bonheur de survie. Le bonheur peut aussi se situer derrière l’horizon : lié au lointain, au voyage. Mais également se trouver dans le jardin intérieur de chacun, dans l’imaginaire d’un monde à l’abri du monde. Dans de nombreux textes poétiques comme dans de nombreux tableaux, le bonheur est partout sauf là où on se trouve, en lien avec l’imaginaire du paradis terrestre, avant la chute.

Avez-vous découvert des choses auxquelles vous ne vous attendiez pas ?

Le grand bonheur de la recherche, c’est de partir de quelques idées et de faire plein de découvertes. Ce livre m’a apporté plus que ce que je ne pensais. Par exemple, quand on parle de bonheur, il y a souvent l’idée que, pour être heureux, il faut que ça dure longtemps. J’ai eu la surprise de découvrir que beaucoup d’artistes et d’écrivains, comme Pétrarque, Calderon ou Proust, mais aussi Tiepolo, Van Gogh ou Bonnard, ont montré que le bonheur pouvait exister même lorsqu’il est éphémère.

Le grand bonheur de la recherche, c’est de partir de quelques idées et de faire plein de découvertes

Il n’est pas possible de passer une existence sans deuils, sans souffrances, sans pertes. Le bonheur, ce n’est peut-être pas pour toujours, mais quand les moments sont là, même courts, il faut savoir les apprécier : c’est ce que nous rappellent sans cesse les écrivains et les philosophes. J’ai également remarqué, par exemple, que Cicéron avait écrit son traité sur le bonheur peu de temps après la mort de sa fille. Malgré le deuil, il évoque un devoir d’être heureux envers et malgré tout. Pour Stendhal et Nietzsche, le bonheur est à portée de notre main, c’est à nous de le fabriquer même si l’on ne choisit pas les événements qui nous arrivent.

Et vous, quelle est votre définition du bonheur ?

Il faut parler à voix basse pour répondre à une question comme celle-là ! J’ai la chance d’avoir une vie équilibrée, une famille merveilleuse, un métier que j’adore, des amis formidables, la chance aussi de jouer du piano et de voyager dès que j’en ai le temps... et d’écrire !

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