Les friches, réservoirs de biodiversité
Sous-étudiées, mal cartographiées et souvent méprisées, les friches donnent asile à une prodigieuse diversité d’espèces végétales et animales en milieu urbain. Explications avec Audrey Muratet, chercheuse au Laboratoire image, ville, environnement (Live – CNRS/Unistra) qui ne quitte plus ces espaces depuis sa thèse débutée en 2002.
Fonctionnement écologique, lien avec leur environnement, composition, rôle à l’échelle de la ville, Audrey Muratet étudie les friches sous toutes leurs feuilles en associant à sa recherche l'approche d’autres écologues mais aussi de géographes, de gestionnaires et la pratique d'artistes. Un espace urbain devient une friche dès que les humains en cessent l’exploitation, il peut s’agir d’anciennes zones industrielles, de jardins à l’abandon, de ruines d’habitations, d’aires délaissées le long de voies de transports…
, détaille la chercheuse qui précise que ces espaces enfermés souvent par un mur restent invisibles pour les citoyens et souffrent d’une image négative.
Après avoir scruté les friches d’Île-de-France, Audrey Muratet pose ses valises à Strasbourg, près du port autonome, en plein confinement. Elle profite notamment des sorties autorisées pour dénicher les friches du secteur. Dans ces lieux où la nature est laissée libre, il se développe une flore et une faune liées aux activités passées, arbres fruitiers, vestiges de potagers, plantes ornementales qui coexistent avec des espèces spontanées s’installant progressivement depuis l'arrêt de l’exploitation.
A l’image d’espèces peu tolérantes aux humains comme les grands mammifères ou d’espèces voyageuses provenant d’autres continents comme la Renouée du Japon ou le Solidage du Canada. Il en résulte une composition unique et originale répartie dans un assemblage d’habitats variés, terrains nu, prairies, fourrés, boisements, zones humides… D’une friche à une autre, on est toujours surpris.
Sangliers, mirabelles et chevreuils
Avec François Chiron, écologue, nous parcourons régulièrement une des plus anciennes friches de Strasbourg, avec une partie boisée assez avancée. Nous avons pu y cueillir des mirabelles, croiser des chats domestiques, mais aussi observer grâce à ses pièges-caméras des sangliers, des fouines, des renards, des chevreuils se mouvant au milieu des ronces
, raconte Audrey Muratet qui précise que les friches urbaines abritent une biodiversité plus élevée que celle d’autres espaces de nature en ville gérés, comme les parcs et jardins.
Un des fruits de cette recherche est La flore des friches urbaines. L’ouvrage réalisé avec le photographe Myr Muratet et la graphiste Marie Pellaton invite à découvrir et identifier les plantes des friches à travers trois entrées : leur milieu, c’est à dire le type de végétation dans laquelle on les observe
, par les fiches-espèces de chaque plante ordonnées par famille, et par une clé de détermination illustrée.
Concevoir des villes plus écologiques
299 plantes décrites,
700 photographies,
930 dessins
Cette flore vise aussi à faire découvrir l’écologie de ces plantes, les relations qu’elles tissent avec leur environnement physique, sol, eau, lumière, ainsi qu’avec les autres organismes vivants.
Sorti une première fois en 2017, une nouvelle édition revue et augmentée de l’ouvrage vient de sortir en librairie. Soit 299 plantes décrites, 700 photographies et 930 dessins.
Mesures morphométriques, analyses génétiques, expérimentation en jardin botanique, caractérisation des sols, capteurs climatiques… En parallèle, pour approfondir l’étude des friches strasbourgeoises, en 2020, la chercheuse lance avec son collègue Laurent Hardion le projet EvolVille – l’évolution s’invite en ville.
Dans ce cadre, 60 espaces herbacés répartis dans l’Eurométropole de Strasbourg depuis des friches en libre évolution jusqu’aux gazons gérés 15 fois par an sont étudiés. Il intègre de nouvelles questions évolutives et des approches plus expérimentales pour mieux appréhender les réponses des populations et communautés animales et végétales au milieu urbain. Des éléments essentiels pour concevoir des villes plus écologiques et résilientes.
- Pour aller plus loin, voir aussi notre vidéo : "Un manuel d'écologie urbaine pour des villes plus vivables."
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