Par Marion Riegert
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Les abus sexuels dans l’Église, une manipulation de la charité

Titulaire de la chaire Jean Rodhain depuis 2020, Frédéric Trautmann, maître de conférences à la Faculté de théologie catholique, fait le point après 5 ans de fonctionnement sur cette chaire destinée à réfléchir aux enjeux de la charité dans les sciences humaines et sociales.

La charité est marquée au niveau du temps et de l’espace, elle est souvent liée à l’image péjorative de la pièce que l’on donne au pauvre. Mais en réalité elle est bien plus que cela, souligne Frédéric Trautmann qui a réalisé sa thèse sur la charité en éthique au moment du concile Vatican II dans les années 1960.

Pour étudier ses différents aspects, six chaires, soutenues par la Fondation Jean Rodhain, ont été créées au sein des facultés de théologie catholique en France. Jean Rodhain est le fondateur du Secours catholique - Caritas France. Son but était de lutter contre la pauvreté. Mais il ne voulait pas juste organiser la charité, il voulait aussi réfléchir aux causes qui y conduisent. Pour ce faire, il souhaitait que le milieu universitaire se saisisse de la question.

Pour étudier cette problématique, les chaires se sont réparties différentes thématiques. Paris travaille sur la parole du pauvre, Lille sur la santé… A Strasbourg, je m’intéresse aux abus dans l’Église comme une manipulation de la charité qui conduit à des crimes. Dans un travail interdisciplinaire en lien avec les universités d’Ottawa et de Fribourg-en-Brisgau, il est significatif de relever que la réflexion sur les abus est générale et que la question du viol se trouve en toute époque et tout lieu.

Une manipulation des concepts religieux

Pour ses travaux Frédéric Trautmann fait le choix de travailler sur des textes et des articles. Une matière en constante augmentation. Il est très délicat de recueillir la parole des personnes et de pouvoir ensuite l’utiliser. Je m’appuie plutôt sur des témoignages publiés dans des journaux, des ouvrages ou des rapports comme celui de la Commission indépendante sur les abus sexuels dans l'Eglise (Ciase) paru en 2021 qui a été finalement peu étudié.

Un manque de conscience aussi bien dans l’Église que dans la société civile

Il note ainsi que l’abus résulte souvent d’une manipulation des concepts religieux. Les auteurs d’actes d’abus tissent leur toile autour de leurs victimes en utilisant des thématiques ecclésiales qu’ils vident de leur substance, rapporte le chercheur étonné par la tendance générale à sous-estimer la réalité et le manque de conscience aussi bien dans l’Église que dans la société civile.

Il n’y a pas que des mineurs qui sont concernés, il y a aussi des majeurs. Il faut considérer que c’est un problème global et que personne n’est à l’abri. Aujourd’hui, les personnes abusées en parlent plus facilement mais il reste une difficulté à les entendre. Il y a un vrai travail d’écoute à faire et ce travail n’est jamais terminé.

Développer des liens avec les arts

Au-delà de l’aspect recherche, des cours sont proposés dans le cadre de la chaire avec des étudiants de toutes disciplines et notamment de lettres en lien avec le Diplôme d’université de l'Institut thématique interdisciplinaire (ITI) Lethica (Littératures, éthiques et arts). Soit entre 10 et 40 étudiants selon les années. Une bourse d’étude pour un étudiant en master a également été créée.

Un récital à l’Opéra du Rhin dans le cadre d’un colloque

Frédéric Trautmann développe aussi les liens de la chaire avec les arts. Un ouvrage a été réalisé avec une étudiante sur les nouveaux visages de la charité. Nous avons organisé un récital à l’Opéra du Rhin dans le cadre d’un colloque, détaille le chercheur qui aimerait réaliser un colloque sur le silence, le secret et la discrétion. 

Un silence ambivalent qui peut être à la fois négatif et faire le lit des abus, mais qui peut aussi être positif. Cela soulève de nombreuses questions comme celle du secret professionnel, du secret des confessions. Certains choses ne sont pas bonnes à dire tout le temps à toute personne, mais la parole doit pouvoir se dire lorsque c’est nécessaire, conclut le chercheur dont la chaire devrait être renouvelée pour trois ans fin 2026.

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