Par Marion Riegert
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Les 86 victimes d’un crime nazi au centre d’un séminaire mémoriel

Un séminaire pédagogique et mémoriel de trois jours a permis aux étudiants et descendants de victimes de se plonger dans l’histoire des 86 juifs exécutés au camp de Natzweiler-Struthof au nom de l’idéologie nazie. Il vient conclure différents modules d’enseignement menés au sein des universités de Strasbourg et de Tübingen en Allemagne au second semestre autour de la mémoire contemporaine de ces victimes oubliées de l’histoire.

Ils étaient 86, 86 juifs déportés à Auschwitz, avant d’être gazés en août 1943 au camp de concentration de Natzweiler-Struthof pour enrichir la collection anatomique de squelettes juifs de l’institut d’August Hirt, professeur d’anatomie à l’Université – alors allemande – de Strasbourg.

80 ans après ce crime, quatre chercheurs se sont intéressés à la question des mémoires de la Seconde Guerre mondiale en Alsace et en Allemagne et en particulier les mémoires de ce crime. Et ce à travers trois modules d’enseignement dispensés au second semestre à Strasbourg et Tübingen à destination d’étudiants de master et de licence.

Parmi les deux professeurs allemands impliqués dans le projet, Hans-Joachim Lang, journaliste et historien, est le premier à avoir remis en lumière ce crime longtemps tombé dans l’oubli grâce à un travail mené depuis les années 1980.

S’interroger sur la mémoire

Il est parvenu à retrouver l’identité des 86 victimes et certains de leurs descendants. Originaires de toute l’Europe, elles n’avaient pas été recherchées par leurs familles et n’avaient pas été prises en compte dans la mémoire locale alsacienne et juive. Un ouvrage traduit en 2018 aux Presses universitaires de Strasbourg retrace son enquête, raconte Jeanne Teboul, anthropologue, qui mène un des modules français avec Christian Bonah, historien.

Une connaissance historique plus complète, nourrie et profonde de cette période peu travaillée

Le séminaire s’inscrit également dans la continuité des travaux menés par la Commission historique pour l’histoire de la Faculté de médecine de la Reichsuniversität, mise en place après la découverte de restes humains à l’Institut de médecine légale de Strasbourg en 2015. Le rapport qu’elle a rendu en 2022 donne une connaissance historique plus complète, nourrie et profonde de cette période peu travaillée permettant de l’inclure aux enseignements, souligne la chercheuse.

Un dévoilement qui rend possible l’émergence d’une mémoire, thème développé durant les différents cours. Qu’est-ce que la mémoire ? Pourquoi c’est important de se souvenir ? Comment se souvient-on, à travers quels dispositifs ? Quels sont les enjeux de la transmission ? Qui s’en saisit ? Comment commémorait-on avant ?, interroge l’anthropologue.

Une visite du Struthof

Point d’orgue de ces enseignements, les trois jours de séminaire ont permis de faire se rencontrer les étudiants avec 15 descendants des victimes venus des Etats-Unis, d’Israël, de France et de Suisse. Avec une première journée marquée par une visite de l’Institut d’anatomie et une seconde avec une visite du Struthof et du cimetière juif de Cronenbourg où sont enterrés les restes des victimes. Avant les années 2000, les familles connaissaient assez peu cette histoire. Cela semblait important de leur permettre de se rendre dans ces lieux.

La dernière journée était consacrée à des entretiens entre étudiants et proches des victimes destinés à documenter la mémoire de ce crime et à la mettre en perspective avec les dispositifs mémoriels existants. C’est intéressant d’observer, d’échanger avec eux pour voir comment ils perçoivent les choses mises en place, comme la plaque commémorative devant l’Institut d’anatomie.

La politique de mémoire se construit dans le contexte franco-allemand, c’est une histoire partagée

L’année prochaine, les chercheurs aimeraient prolonger cette initiative à travers une nouvelle série de cours sur le sujet. Avec pourquoi pas à l’été prochain une initiative similaire à Tübingen. Université où s’est repliée la Reichsuniversität quand elle a fui en 1944. La politique de mémoire se construit dans le contexte franco-allemand, c’est une histoire partagée, conclut Jeanne Teboul.

Deux étudiants témoignent

Ariel-Harel Segev

Etudiant israélien venu faire une année d'étude à Strasbourg dans le cadre d'un échange étudiant

En tant que participant venant d'Israël, l'histoire de l'Holocauste fait partie intégrante de mon identité. Vivre à Strasbourg pendant un an m'a permis de comprendre comment la France gère la mémoire de la Shoah. Les rencontres avec les familles des victimes m'ont profondément touché. Leur courage, leur dignité et leur détermination à perpétuer la mémoire de leurs proches disparus ont été une source d'inspiration sans précédent. Venues de différentes parties du monde, chacune apportait avec elle une histoire unique, une perspective différente. Chaque récit partagé a renforcé mon engagement à préserver cette histoire et à la transmettre aux générations futures. Les discussions avec les étudiants allemands ont été profondément enrichissantes et ont mis en évidence l'importance de l'éducation et de la sensibilisation pour prévenir la répétition de tels événements tragiques. Leur volonté de se confronter à leur passé et de lutter contre l'antisémitisme a été source d'espoir et d'inspiration. Les liens qui se sont tissés entre les participants ont transcendé les barrières culturelles et linguistiques, créant une véritable communauté engagée dans la préservation de l'histoire.

Marie-Christelle Lare

Etudiante en master 2 de Science politique à Sciences Po Strasbourg

J'ai suivi les deux modules d’enseignement dispensés à Strasbourg. Cette année, je réalise un stage au Département d'histoire des sciences de la vie et de la santé, où je suis chargée d’accompagner le groupe de travail qui réfléchit à la mise en place des politiques mémorielles proposées dans le cadre de la Commission historique pour l’histoire de la Faculté de médecine de la Reichsuniversität. Dans ce cadre, j’effectue également un mémoire sur cette initiative de politiques mémorielles de l’Université de Strasbourg en lien avec les 86 victimes juives. Les trois journées de séminaire ont été un très bon terrain d’observation de la réception des politiques mémorielles mises en place. J’ai particulièrement apprécié le contact avec les familles qui était très facile et naturel. Il y a eu un véritable partage culturel et de belles rencontres avec les descendants des victimes mais aussi les étudiants allemands. Le dernier jour, nous avons mené des entretiens par groupes de trois, j’ai pu poser des questions aux familles en lien avec ma recherche sur leur expérience lors du séminaire et les dispositifs de mémoire qu’ils ont rencontrés à Strasbourg.

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