Par Thomas Monnerais
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« Le théâtre n’est pas qu’un art du spectacle, c’est aussi un art littéraire »

Dans son livre paru aux Presses universitaires de Strasbourg (PUS) « Lire le théâtre. Pratiques et théories de la lecture du théâtre français des XVIe et XVIIe siècles », Sandrine Berrégard, chercheuse en littérature au sein de l'équipe d'accueil Configurations littéraires, analyse le théâtre français classique au prisme de sa lecture.

Comme le titre de l’ouvrage l’indique, vous avez pris le parti d’analyser le théâtre comme un art qui se lit et non pas comme un art qui s’écrit, se joue ou se regarde. Pour quelles raisons ?

Avec l’ensemble des contributeurs, nous avons souhaité appréhender le théâtre comme un art qui se lit car pour nous chercheurs spécialistes du théâtre classique des 16e et 17e siècles, le théâtre n’est pas qu’un art du spectacle, c’est aussi un art littéraire. Les textes édités à l’époque - qui in fine restent notre matériau le plus solide pour l’étude de l’histoire du théâtre car les informations dont nous disposons sur les spectacles eux-mêmes sont parcellaires – étaient très souvent accompagnés de notes, d’indications, de commentaires critiques de la part de l’auteur ou de l’éditeur à destination du lecteur. Tout un appareil paratextuel qui, en plus d’éclairer la dimension littéraire du texte ou les intentions poétiques de l’auteur, permet également de mettre en lumière des pratiques sociales liées à la lecture du théâtre, qu’elle soit solitaire ou collective, que ce soit dans les salons mondains, à l’école ou dans les collèges jésuites.

Des pièces ont-elles uniquement été créés pour être lues et non jouées et mises en scène ?

Un grand théoricien considérait lui que le jeu théâtral dénaturait la création du poète dramatique

On a longtemps dit à tort que les tragédies de Robert Garnier (1544-1590), l’un des principaux tragédiens français du 16e siècle, devaient être lues et non jouées. Mais une telle hypothèse ne résiste pas à l’étude des textes qui contiennent nombre d’indications scéniques démontrant qu’ils avaient donc vocation à être mis en scène devant un public. En outre, un grand théoricien comme l’abbé D’Aubignac (1604-1676) considérait lui que le jeu théâtral dénaturait la création du poète dramatique, le comédien étant perçu comme un être imprévisible qui altère la pureté originelle du texte. En réalité, aucune pièce n’était destinée uniquement à la lecture mais toutes avaient vocation à l’être, comme le prouve la hausse massive de la circulation des pièces imprimées au 17e siècle, pas qu’à Paris mais sur tout le territoire – Rouen par exemple est une place forte du théâtre et de son édition à cette époque.

En effet, pour que les textes soient lus encore faut-il qu’ils soient imprimés ?

L’objet livre et la matérialité du texte imprimé est un sujet à part entière sur lequel nous revenons. Même s’ils pouvaient craindre le passage du texte oral et vivant de la représentation au texte écrit et figé de l’édition (notamment dans le cas des comédies), les auteurs avaient conscience de son importance. En premier lieu parce que l’impression et l’édition protègent une œuvre et son créateur. Mais un autre élément le montre nettement, c’est l’utilisation des guillemets gnomiques qui permettent de visuellement faire ressortir un vers ou une phrase pour attirer l’attention du lecteur. Le texte se donne à voir autant qu’il se donne à lire.

Qui sont les lecteurs et amateurs de théâtre aux 16e et 17e siècles ?

Le théâtre est un lieu d’expression des passions et d’essor de la modernité

Il est évident qu'une tragédie à sujet historique ou mythologique s'adresse à un public cultivé. Or ce sont les enfants issus de la noblesse ou de la bonne bourgeoisie qui peuvent recevoir la formation dispensée dans les écoles et notamment par les collèges jésuites. Toutefois, notamment à partir de 1620, sous l’impulsion du cardinal Richelieu (1585-1642), le théâtre connait un développement considérable dans toute la France, ce qui fait naitre un mouvement théâtrophobe qui considère que le théâtre – qu’il soit joué ou lu – dénature les cœurs et les âmes. De manière générale, le théâtre est un lieu d’expression des passions et d’essor de la modernité comme le montre la querelle du Cid* que l’Académie française a tranché… en lisant vers après vers le texte de Corneille.

* Elle constitue la première polémique littéraire française en 1637, Corneille étant alors accusé par ses détracteurs de contrevenir aux règles stylistiques et morales du théâtre.

 

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