L’art comme discussion
Livre, objet d’art, concept ? Comme l’annonce son titre, « Subject to Change » est le fruit d’une discussion entre artistes, un projet collectif, participatif et donc protéiforme.
A l’origine, « Die Maske des Bösen » / « Le Masque du méchant » : un poème produit par Bertolt Brecht durant la guerre, alors que l’écrivain allemand résidait en Californie, en exil (lire en encadré). De ce poème naît une discussion : Michael Corris, ayant participé au mouvement d’art conceptuel Art and Language à New York, propose d’abord un échange, sur le principe d’un jeu de questions-réponses, à Marjorie Welish, poète et artiste contemporaine new-yorkaise. Quelques mois plus tard, se joignent au projet Stéphane Mroczkowski, maître de conférences en arts plastiques à l’Institut national supérieur du professorat et de l'éducation-Inspé (Approches contemporaines de la création et de la réflexion artistiques-Accra) et Alexandra Pignol, maîtresse de conférences en sciences humaines et sociales à l’Ecole nationale supérieure d'architecture de Strasbourg-Ensas (Architecture, morphologie, morphogénèse urbaine et projet-Amup).
Fragments, pièces mouvantes
Le titre est une allusion à la clause juridique qui permet de modifier un contrat. La discussion permet de déplacer ce qui a été fait auparavant, chacun reprenant à sa manière la proposition de l’autre. Il s’agit alors de fabriquer un dialogue, chacun ayant son bagage de connaissances
, explique Stéphane Mroczkowski. Ce mouvement apporte au lecteur une grande liberté de s’approprier le livre dans tous les sens, sans être asservi à un seul mode de lecture. A condition, du moins, d’accepter de se confronter à des choses qu’on ne comprend pas immédiatement
.
Subject to Change est fait de fragments, de pièces mouvantes. Il s’agit de montrer un processus erratique, y compris avec des parenthèses, avec des interventions de personnalités extérieures citées dans l’ouvrage. C’est tout un réseau de possibilités en évolution permanente : on est dans l’idée du rhizome, développée par les philosophes Gilles Deleuze et Félix Guattari
, évoque Alexandra Pignol, dont les investigations sur l’exil américain de Brecht mettent aussi en évidence une évolution de la traduction et de l’interprétation du poème. Le masque ne serait-il pas en colère, plutôt que méchant ? En allemand, böse veut dire méchant… mais aussi fâché. « La colère est un thème récurrent chez l’écrivain allemand, surtout dans sa période d’exil, il exprime sa colère contre les artifices d’Hollywood, contre le milieu du cinéma… »
Recherche-création
Le livre se situe dans la tradition du livre d’artiste, un livre à considérer comme un "work in progress"
, souligne encore Stéphane Mroczkowski. Pour réaliser ce type d’ouvrage, la relation avec l’éditeur est essentielle. Mare & Martin édite notamment les catalogues de musées, des monographies d’artistes, mais aussi des thèses de droit et d’histoire de l’art. Il nous a permis de façonner un ouvrage de recherche-création, où la forme et le contenu ont entièrement été composés par les artistes impliqués dans le projet.
Le designer graphique du livre, Fred Dupuis, a lui aussi marqué fortement le projet, renforçant les liens entre le graphique et le lexical
et adoptant un mode de lecture inédit qui entremêle les versions anglaise et française
. L’ouvrage a été soutenu par la Commission de la recherche et a bénéficié de financements des laboratoires Accra et Amup et de l’Inspé, ainsi que de l’Université de Dallas et du fonds de création de Marjorie Welish. Il s’agit du premier volume d’une collection intitulée « Anatomies de la modernité », qui veut poser un regard critique sur la modernité, et la questionner, dans une approche de recherche expérimentale et pluridisciplinaire.
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Subject to Change, Michael Corris, Stéphane Mroczkowski, Alexandra Pignol et Marjorie Welish, Mare & Martin, 20x23,5cm, 144p., illus., relié cartonné, 39€ (français/anglais)
Le masque du méchant
Au mur de mon bureau, un masque japonais
Sculpté sur bois et laqué d’or : effigie d’un méchant démon
Je regarde plein de pitié
Les veines gonflées de son front : elles révèlent
Combien c’est dur d’être méchant.
Bertolt Brecht, 1942
Au catalogue d'une librairie new-yorkaise
Subject to Change figure désormais au catalogue de la librairie-édition Printed Matter à New York. Une librairie à but non lucratif, fondée par des artistes et critiques en 1976. Printed Matter est aujourd'hui une des plus importantes structures pour le livre d'artiste et le livre d'art contemporain.
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