Par Elsa Collobert
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La restitution d'œuvres spoliées sous la loupe des chercheurs

A la croisée de l'histoire de l'art et du droit, le chercheur à l’UMR Dres* Thibault de Ravel d'Esclapon est associé à l'organisation de l'exposition « Passé, présent, avenir d'œuvres récupérées en Allemagne en 1945. Les MNR (Musées nationaux récupération) des musées de Strasbourg ». 27 de ces œuvres au statut juridique bien particulier sont exposées jusqu'au 15 mai à la galerie Heitz du Musée des Beaux-Arts. L'Université de Strasbourg accueillera un symposium international sur la thématique en juin.

Au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, 61 000 œuvres d'art accaparées par les nazis entre 1939 et 1945 ont été récupérées par les Alliés en Allemagne, dans le but de les restituer. Si la grande majorité (45 000) l’ont été rapidement, dans les cinq ans suivant la guerre, certaines restent non-réclamées. Elles sont encore 2 000 en France, dont le propriétaire légitime n'a pas pu être retrouvé.

La plupart de ces œuvres d'art, parfois des objets de valeur, appartenaient à des familles juives, rapporte Thibault de Ravel d'Escalpon. On a un exemple frappant avec l'importante collection de la famille Rotschild.

Sous la garde de l'Etat

Pour ces œuvres spoliées, un statut juridique unique a été créé : celui de « MNR », pour « Musées nationaux récupération ». Ce qui est assez extraordinaire, c'est que les Alliés ont eu très tôt conscience de l'importance de cette question. Une déclaration en ce sens a été adoptée dès 1943. Au départ, ce statut n'est pas pensé comme pérenne. Placés sous la responsabilité du ministère des Affaires étrangères, ces biens sont confiés aux musées nationaux et répartis en région.

27 biens « MNR » à Strasbourg

A Strasbourg, les biens « MNR » sont à ce jour 27 : 20 tableaux et 7 objets, issus des fonds de quatre musées. Deux œuvres peuvent être considérées comme majeures : Les Fiancés de Lucas de Leyde, tableau flamand du 16e siècle, que Göring, bras droit d'Hitler, avait fait intégrer à sa collection personnelle (à gauche) ; Les coteaux de la Celle, de l'impressionniste britannique Alfred Sisley (à droite).

S'ensuit la fondation d'un statut juridique rare, défini par la négative : L'État n'a pas la propriété des MNR, seulement leur garde. Ce statut est défini par un décret de 1949, pris par le gouvernement. Les MNR ne font pas partie des collections nationales, mais restent sur les inventaires provisoires des musées.

Un devoir d’exposition

C'est notre devoir de les exposer, souligne Thibault de Ravel d’Esclapon, co-commissaire de l'exposition aux côtés de Dominique Jacquot, conservateur en chef du Musée des Beaux-Arts. L'exposition serait un véritable succès si elle aboutissait à de nouvelles restitutions. Parmi les missions des musées : faciliter les recherches pour identifier les propriétaires. Quant à l'université, associée à l'événement, il s'agit d'éclairer le propos, notamment sous le prisme du droit.

Ce sera intéressant d'examiner, dans une perspective de droit comparé, les réponses juridiques différentes apportées dans des pays comme la Belgique ou les Pays-Bas, où les spoliations ont aussi été massives. C'est l'ambition d'un symposium international, organisé les 8 et 9 juin sous la responsabilité de Thibault de Ravel d'Esclapon, et accueilli à l'Université de Strasbourg.

* Droit, religion, entreprise et société - UMR 7354 (Unistra/CNRS)

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