Par Elsa Collobert
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Il y a 450 ans, le massacre de la Saint-Barthélémy

Des persécutions envers les protestants, l’histoire retient comme point d’orgue le massacre de la Saint-Barthélémy, dans la nuit du 23 au 24 août 1572. Mais les racines et prémisses de ce sanglant épisode, qui secoua durablement l’Europe chrétienne, sont à rechercher dans les décennies précédentes, nous expliquent un théologien et un historien, à l'occasion des 450 ans de l'événement.

Le cycle des guerres de religions s'ouvre en 1562 avec le massacre de Vassy, en Champagne, rappelle Adrien Boniteau, doctorant en théologie protestante1. Les dix années suivantes sont marquées par une succession d'exactions et de représailles entre les deux camps catholique et protestant. Trois guerres se succèdent, temporairement closes par d'insatisfaisants traités de paix.

Avec la volonté assumée de mettre fin aux tensions, la reine mère, Catherine de Médicis, organise, le 18 août 1572, les noces de sa fille Marguerite de Valois, sœur du roi de France Charles IX, avec Henri de Navarre.

Un mariage pour réconcilier la France

Les époux sont issus des deux camps rivaux en présence. La famille régnante est catholique. Henri de Navarre (futur Henri IV) est le principal chef du parti huguenot (les protestants français). Critiqué des deux côtés, le mariage est d'emblée sous tension. L'apaisement sera de courte durée.

Paris est alors une véritable poudrière, décrit Adrien Boniteau. Les esprits sont échauffés par de violents prêches catholiques intransigeants. De mauvaises récoltes mécontentent la population. Et la noce a rassemblé à Paris des gentilhommes protestants en armes, dont certains sont prêts à aller se battre dans les Pays-Bas espagnols pour défendre leur foi qui s'y est diffusée, réprimée par le très catholique Philippe II d'Espagne.

Un événement va mettre le feu aux poudres : le 22 août 1572, un attentat blesse l’amiral Gaspard de Coligny, l'un des principaux chefs du parti protestant, issu de la puissante famille des Châtillon-Montmorency. L'attentat est rapidement attribué à leurs rivaux, les Guise, représentants eux de la branche du catholicisme intransigeant. Les deux factions tentent d'infléchir la politique royale selon leurs intérêts. La population parisienne voit immédiatement dans l'attentat un signe du complot huguenot.

Deux Saint-Barthélemy

Souhaitant éviter l'embrasement généralisé et la guerre civile à tout prix, Charles IX finit par prendre parti et décide alors, vraisemblablement le soir du 23 août, de rendre la justice extraordinaire et d’éliminer les têtes du parti protestant.

L'historiographie distingue deux Saint-Barthélemy : une fois les portes de la ville fermées et les bourgeois armés, les chefs protestants, pour la plupart rassemblés au Louvre, sont exécutés. Prétendant que les protestants préparent un massacre des catholiques, la population se livre alors à la deuxième Saint-Barthélémy : l'assassinat systématique des protestants, famille par famille, quartier par quartier.

Cristallisation de la violence mystique

Les femmes enceintes, les enfants ne sont pas épargnés. Les corps des protestants sont trainés dans les rues, jetés dans la Seine pour les priver de sépulture, mutilés, dans une cristallisation de la violence mystique. Denis Crouzet, spécialiste du sujet (co-directeur de thèse d'Adrien Boniteau), évoque la symbolique de cet acharnement : On arrache par exemple la langue mensongère des cadavres, on les dénude pour dévoiler l'hérésie.

Une saison des Saint-Barthélemy

La violence ne retombe pas dans les jours suivants, malgré les demandes répétées, bien que contradictoires, de retour au calme du roi. Elle gagne même la province, dans des villes à minorité protestante comme Orléans, Bourges, Angers, Lyon, Bordeaux ou encore Toulouse. On parle de saison des Saint-Barthélémy, jusque début octobre, avec entre 3 000 et 10 000 morts, auxquels s’ajoutent les 2 000 à 3 000 victimes parisiennes.

Ces événements auront des répercussions durables. Jusque-là toléré, le culte réformé est interdit. Les protestants ont interdiction d’occuper des emplois publics. Le protestantisme subit une perte de vitesse, surtout au nord de la France, le pays est re-catholicisé. Des conversions forcées ont lieu et beaucoup de huguenots émigrent, notamment dans les villes suisses passées à la Réforme, et à Londres.

Le pouvoir royal se retrouve durablement affaibli. Côté protestant, la réaction est immédiate, avec la publication de traités monarchomaques, donnant aux sujets un droit de résister à la tyrannie, à l’appel des magistrats inférieurs. Côté catholique aussi, la figure royale est désacralisée : L'insurrection est rendue possible au nom de la religion. La Saint-Barthélemy a montré que la population peut tenir tête à son roi. Certains historiens vont jusqu'à estimer qu'elle a rendu virtuellement possible le régicide. Henri III est assassiné en 1589. Il faudra attendre Henri IV et l’édit de Nantes, en 1598, pour que le pouvoir royal parvienne à se stabiliser, à s’ériger en juge entre deux partis extrêmes, et à retrouver une crédibilité. Ainsi se clôt le cycle des guerres de religion.

Le 16e, siècle de la Réforme

En Europe, dès les années 1530, deux branches du protestantisme se distinguent :

  • Le luthéranisme se diffuse en grande majorité en Allemagne du centre et du nord, puis dans les décennies suivantes, en Scandinavie. Il naît sous l’influence du théologien Martin Luther, basé à Wittemberg, capitale de la Saxe, Etat du Saint-Empire romain germanique.
  • Le calvinisme : en Allemagne du Sud et en Suisse, c’est l’influence du réformateur de Zurich, Zwingli, qui sera prépondérante, notamment dans les villes libres, à Strasbourg, avec Bucer et Capito, à Constance, Augsbourg, Ulm, etc. Plus tard, le successeur de Zwingli, Bullinger, se mettra d’accord avec l’érudit picard Jean Calvin, réformateur de Genève, pour une Réforme plus offensive à l’égard des pouvoirs civils.

Le protestantisme remet en cause l’Église catholique et romaine comme institution, prône un retour direct aux textes et aux Évangiles, ce que les réformateurs nomment l’église primitive. Ils remettent aussi en cause les indulgences et leur commerce, ces remises de pénitence publique imposée par l'Église (c’est le point de départ du texte de Luther, véritable acte de naissance du protestantisme, en 1517).

Les deux courants se distinguent dans leur approche du politique, précise Frank Muller, professeur émérite d'histoire moderne2, spécialiste des images de la Réforme. Le calvinisme va plus facilement remettre en cause l’autorité temporelle du prince, alors que le luthéranisme est plus légitimiste.

A la veille du massacre, 10 % de la population française est protestante

Le protestantisme est bien implanté en Bohème-Moravie, en Hongrie, en Pologne et surtout dans les anciens Pays-Bas (Belgique et Pays-Bas actuels). Il se développe d’abord au sein des classes aisées et urbaines, éduquées - noblesse, intellectuels, ‘professions libérales’, artisans, commerçants. A partir des années 1540, le mouvement s’accélère et gagne la campagne française, en particulier le sud (mais même des régions comme la Bretagne et la Normandie sont touchées). On peut considérer qu’en 1562, début des guerres de religion, 10 % de la population française* est convertie, et jusqu'à 50 % de la noblesse dans certaines régions. Un développement stoppé net après la Saint-Barthélemy.

* La population française est alors estimée à 16,3 millions

1 Au sein du Groupe de recherche sur les non-conformismes religieux aux 16e et 17e siècles et histoire des protestantismes (Grenep)
2
Unité de recherche 3400 Arts, civilisations, histoire de l'Europe-Arche

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