Hommage à Martin Karplus, portrait d’un chimiste passionné et touche-à-tout
L’Institut de science et d'ingénierie supramoléculaires (Isis – CNRS/Unistra) rend hommage à Martin Karplus le vendredi 4 avril. Retour sur le parcours du Nobel décédé fin 2024, qui vivait à cheval entre les Etats-Unis et la France, avec Marco Cecchini, chimiste à l'Université de Strasbourg et organisateur de l’évènement.
Martin s’impose de changer complétement de sujet de recherche tous les cinq ans, il ne se considère alors plus capable d’apporter de nouvelles choses
, rapporte Marco Cecchini qui fut post-doctorant dans l’équipe de Martin Karplus à l’Isis de 2005 à 2009.
Pendant la Seconde Guerre mondiale, il est contraint de quitter l’Europe pour les Etats-Unis
Le chimiste nait le 15 mars 1930 dans une famille juive. Pendant la Seconde Guerre mondiale, il est contraint de quitter l’Europe pour les Etats-Unis. Il débute son parcours de chercheur par un doctorat au California Institute of Technology. Au départ, il est intéressé par la biologie théorique, mais suite à une brouille avec son directeur de thèse, il change de voie et opte pour un doctorat sur la chimie des protéines par approche de mécanique quantique avec Linus Pauling
, raconte Marco Cecchini.
Il réalise son post-doctorat à Oxford toujours sur la chimie quantique et commence à voyager en Europe. Il obtient ensuite un poste de professeur de chimie à l’Université de l’Illinois à Urbana-Champaign où il développe la fameuse équation de Karplus en résonance magnétique nucléaire, puis à l’Université de Columbia où il s’intéresse à la cinétique des réactions élémentaires.
Il laisse toute la liberté d’explorer à ses collaborateurs
Martin Karplus intègre ensuite Harvard et par l’intermédiaire de Jean-Marie Lehn, lui-même prix Nobel de chimie dont il était proche, devient professeur conventionné à l'Université Louis Pasteur en 1995, un statut créé pour lui. Il rejoint ensuite l'Isis dès ses débuts où il dirige le Laboratoire de chimie biophysique. Il a une relation particulière avec la France dont il aime la culture et la cuisine.
Le chercheur partage alors son temps entre les Etats-Unis et la France, à raison de deux mois dans chaque pays. Ça ne le dérange pas d’être dans deux laboratoires, il laisse toute la liberté d’explorer à ses collaborateurs disant qu’ils sont tellement bons que s’il intervient il risque de retarder les choses.
Son laboratoire strasbourgeois accueille et forme des dizaines de chercheurs qui sont aujourd'hui professeurs ou directeurs de recherche dans l'Europe entière. L’originalité de son équipe à l'Isis, c’est qu’elle est composée uniquement de post-doctorants
, précise Marco Cecchini qui se souvient de la difficulté d’écrire des articles scientifiques avec lui. Il y avait toujours une trentaine de versions. Il m’a appris à travailler, retravailler, retravailler…
Une recherche pas toujours comprise
Côté recherche, il s’intéresse à énormément de sujets. Un des plus importants étant dans le domaine de la dynamique et du repliement des protéines. Au début, les scientifiques ne voyaient que la structure statique des protéines. Martin développe et met en œuvre les techniques utilisées aujourd’hui pour étudier la dynamique des protéines et notamment le logiciel CHARMM (Chemistry at Harvard Macromolecular Mechanics), devenu incontournable dans le domaine.
« Ses collègues disent qu’il fait plus du jeu vidéo que de la recherche »
Une recherche tellement novatrice pour l’époque qu’elle n’est pas toujours comprise. Ses collègues disent qu’il fait plus du jeu vidéo que de la recherche
, explique Marco Cecchini qui précise que le chimiste travaille également sur des développements théoriques en résonance magnétique nucléaire.
Après 2010, à 80 ans, il est toujours rattaché à Strasbourg mais n’a plus de membres dans son équipe. Il est déjà âgé et souhaite réduire ses voyages.
En 2013, il obtient le Nobel de chimie pour ses travaux dans le domaine des simulations numériques multi échelle des macromolécules biologiques. Le jour de l’annonce des Nobel, il ne venait jamais au laboratoire. Il l’a vécu de façon assez naturelle et était très fier
, détaille Marco Cecchini qui évoque un homme réservé et timide.
Troisième chef de cuisine dans un restaurant étoilé
Il parle peu de ses sentiments, mais c’est quelqu’un de gentil et à l’écoute. Ce qui m‘a frappé le plus c’est qu’il a une façon très simple et directe de raisonner. Une fois je l’ai invité à diner. Je faisais un barbecue mais j’avais du mal à voir si la viande était cuite. Martin a mis son doigt dedans et dit « It’s cold ! ». Pragmatique et rapide, il a résolu le problème en 10 secondes avec une méthode peu orthodoxe.
En plus de la recherche, Martin Karplus a de nombreuses passions. La cuisine d’abord. Il prend une année sabbatique pour travailler dans un restaurant étoilé en tant que troisième chef de cuisine et organise parfois des diners à l'Isis.
L’observation des oiseaux ensuite. Sans oublier l’art et les voyages. Il est fasciné par la perspective et raconte qu’il a découvert une équation derrière les tableaux du peintre vénitien Tintoretto.
Touche-à-tout, il immortalise ses voyages grâce à la photographie et développe des expositions à Strasbourg, Paris, ou encore Vienne. Certains de ses clichés sont exposés de manière permanente dans le hall de l’Isis. Il est très attentif aux détails et curieux.
Martin Karplus décède à Cambridge dans le Massachusetts (États-Unis) le 28 décembre 2024. Dans mon domaine de compétences il a presque tout fait. Aujourd’hui encore, nous utilisons des méthodes qu’il a développées il y a 20 ans.
Un mini symposium en hommage
Un mini-symposium en l'honneur de Martin Karplus aura le vendredi 4 avril à l’Institut de science et d'ingénierie supramoléculaires. Au programme : des présentations autour de ses travaux, photographies et anecdotes à l’appui. Mais aussi un retour sur son influence en Europe et son école de pensée en Europe et à Strasbourg.