Par Thomas Monnerais
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« Des crimes ordinaires par des gens ordinaires », une histoire de la violence

Historien moderniste au laboratoire Arts, civilisation et histoire de l'Europe (Arche – Ensas/Unistra), Antoine Follain publie aux Presses universitaires de Strasbourg (PUS) un recueil de sources qui permettent de saisir la réalité de la violence et de la criminalité au 17e siècle.

Votre nouvel ouvrage Préférant miséricorde à rigueur et sévérité de justice est un recueil de lettres de pardon des ducs de Lorraine. Qui sont les ducs de Lorraine et que sont des lettres de pardon ? 

Les ducs de Lorraine sont des princes qui, à partir de la fin du Moyen-Âge, prennent la tête d’un petit État lorrain indépendant jusqu’à sa complète absorption par la France en 1766. Comme dans tout État souverain, le seigneur a la possibilité de gracier les criminels qui lui en font la demande avant ou après leur condamnation par le système judiciaire. Si, après étude du dossier avec ses conseillers, il considère le crime pardonnable, alors il émet une lettre de pardon et l’auteur des faits se voit intégralement réhabilité. Ce sont les lettres du 17e siècle dont nous éditons la première partie (1600-1634) aujourd’hui. 

Que nous apprennent-elles ? 

Elles racontent d’abord des crimes ordinaires commis par des gens ordinaires. Solliciter le pardon du souverain était une procédure courante, accessible à tout le monde et même gratuite pour les plus pauvres. Ces crimes ordinaires, ce sont des accidents, une rixe qui tourne mal, une réparation d’honneur. Il y en a aussi des plus extraordinaires comme la vengeance d’une femme contre son violeur, un prêtre qui élimine sa maîtresse, un beau-frère qui tue le mari de sa sœur. Ces lettres nous éclairent donc sur la perception et la réalité de la violence et de la criminalité dans la société lorraine du 17e siècle, sur les actes qui sont acceptables et ceux qui ne le sont pas ou plus – par exemple, au 16e siècle, les maris avaient le droit officiel de corriger modérément leurs épouses ou même de les tuer en cas d’adultère, au 17e ce n’est plus le cas. Au-delà, ces lettres sont en creux riches d’enseignements sur le fonctionnement de la justice, les mentalités, le « folklore », la vie quotidienne, l’habitat, l’intimité au sein du couple, autant d’informations, de détails et de « personnages » qui sont généralement absents des sources à notre disposition. 

L’ouvrage contient la reproduction textuelle de centaines de lettres, comment les avez-vous découvertes et comment avez-vous travaillé ? 

À la lecture d’un inventaire, j’ai découvert leur existence au sein des archives départementales de Meurthe et Moselle en 2011. Elles étaient contenues dans une série de registres contenant des milliers de documents du 16e au 18e siècle, n’ayant pas grand-chose à voir les uns avec les autres. La première étape a donc été de les isoler, nous en avons au total près de 900. Puis de réussir à les décrypter, à les traduire du vieux français, à les recouper, à les analyser. C’est un travail qui m’a occupé pendant dix ans parmi d’autres recherches et activités, sous la forme d’un projet didactique avec mes étudiants (270 en tout !) qui dans le cadre de leur formation m’ont aidé. Ils ont produit un travail considérable qui nous permet non seulement d’éditer une première partie des lettres mais aussi d’envisager l’édition des lettres du 18e siècle qui à ce jour ont été toutes transcrites. 

Après Brutes ou braves gens ou La sorcellerie et la ville, il s’agit de votre quatrième ouvrage aux Presses universitaires de Strasbourg (PUS), mais dans son introduction vous laissez entendre qu’il s’agit de l’un des plus importants pour vous ?

Parce qu’il réalise la combinaison universitaire de l’enseignement et de la recherche et parce que l’édition de sources est l’une des missions les plus nobles pour un historien. À fortiori quand il s’agit de sources inédites, d’une telle qualité et d’une telle quantité. Ce corpus – reproduit en partie seulement mais sans aucune sélection thématique préalable – sera évidemment utile à toutes celles et ceux qui comme moi travaillent sur l’histoire de la justice et de la violence. Mais il sera aussi riche d’enseignements pour les historiens qui travaillent sur la société d’Ancien régime ou d’autres questions, comme l’histoire des mentalités ou de la Lorraine par exemple. Cela en fait un ouvrage utile à toute la communauté historienne, qui ne devrait jamais être contesté ou périmé. Les analyses d’un historien sont toujours discutables. Les éditions de sources sont des rocs. C’est en ce sens qu’il est important pour moi !

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