Par Marion Riegert
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David contre Goliath, le combat des Yagán contre l’élevage de saumon

Sensible à la question du changement climatique, Geremia Cometti, chercheur au Laboratoire interdisciplinaire en études culturelles (Lincs), se tourne vers l’étude de son impact sur certains peuples autochtones. Après les Q’eros dans les Andes péruviennes, il s’intéresse aux Yagán, la communauté la plus méridionale au monde, et à leur combat contre l’élevage intensif de saumon au Chili.

En 2020, les Yagán ont réussi à faire retirer 136 cages d’élevage de saumon d’une grande entreprise chilienne au capital majoritaire norvégien dans quatre sites d’élevage intensif du canal de Beagle au Chili. Une première pour une population autochtone dans ce pays, rapporte Geremia Cometti qui rencontre ce peuple un peu par hasard en 2020. J’étais de passage à Santiago du Chili pour aller faire un documentaire sur les Q’eros au Pérou, mais au dernier moment le cameraman n’a pas pu m’accompagner.

Le chercheur entend alors parler de l’histoire des Yagán. Une histoire en pleine Terre de feu qui fait écho à ses années de post-doctorat. J’occupais alors l’ancien bureau de Claude Lévi-Strauss. Dans une vitrine, il y avait un objet donné au célèbre anthropologue par une habitante de la Terre de feu et la photo immortalisant ce moment. Cette zone abrite trois peuples que je pensais disparus, quand j’ai vu qu’ils étaient toujours là, j’ai voulu les rencontrer, rapporte le chercheur qui décidé de partir à l’aventure, même si ce n’est pas comme ça que j’enseigne aux étudiants de choisir leur terrain !

Geremia Cometti débarque ainsi à Puerto Williams sur l’ile de Navarino, où les Yagán sont encore une centaine. Il reste deux mois sur place, avant de revenir en janvier 2024. Première étape : se faire accepter. Les Yagán ont établi un protocole de bonnes pratiques pour éviter que des chercheurs viennent et repartent sans donner de nouvelles. Pour ma part, je leur ai soumis mon idée de faire un livre sur leur lutte.

Des marées rouges d’algues

Leur combat, c’est un peu David contre Goliath. Le Chili est le deuxième exportateur de saumon d’élevage, derrière la Norvège. Ils exportent ces saumons vers les Etats-Unis, le Brésil ou le Japon pour faire des sushis, dont la demande explose. Le problème, c’est que le pays autorise un usage massif de pesticides et d’antibiotiques.

En 2020, les Yagán ont été épaulés par Greenpeace

Mêlé au réchauffement climatique, cela provoque des marées rouges d’algues ingérées par les crustacés que les Yagán, qui sont une population de pêcheurs et de récolteurs, ne peuvent plus consommer. Un enjeu environnemental lié à une relation plus profonde de ce peuple à la mer.

En 2020, les Yagán ont été épaulés par Greenpeace, les acteurs du tourisme local, ou encore une biologiste qui a réalisé des études sur le saumon, ce qui leur a permis de faire parler de leur cause et de remporter une bataille juridique.

Elles commencent à parler quand tu arrêtes de poser des questions

Une pression depuis retombée. Les Yagán sont inquiets parce que l’entreprise va revenir et, cette fois, ils ne feront pas les mêmes erreurs juridiques. Il faut que la communauté soit prête, souligne Geremia Cometti, qui a pu rencontrer Cristina Calderón, dernière à parler la langue Yagán, avant qu’elle ne succombe au Covid en 2022.

Les Yagán ont été placés dans des réserves dans les années 1960. Cela a créé des discriminations. C’est pour cela que la génération de Cristina n’a pas enseigné la langue aux plus jeunes. Ils essayaient de cacher leurs origines, en avaient honte, ce qui n’est plus le cas des nouvelles générations, raconte l’anthropologue qui souhaite retourner dans la communauté pour lui présenter son livre.

Cela m’a fait réfléchir à mon métier. Je ne veux pas être dans une logique extractive, mais créer une relation sur le long terme. Quand je vais sur place, je vis avec les personnes. Elles commencent à parler quand tu arrêtes de poser des questions… Souvent, elles nous donnent plus que ce que l’on ramène.

« La population la plus misérable et abjecte »

Les Yagán sont devenus tristement célèbres grâce ou à cause du naturaliste britannique Charles Darwin (1809-1882) qui a déclaré qu’ils étaient "la population la plus misérable et abjecte" qu’il avait jamais vue en la situant dans l’état inférieur du progrès, rapporte Geremia Cometti. Le jeune Charles Darwin les découvre pour la première fois en 1833, alors qu'il accompagne le capitaine Fitz-Roy dans les Beagle pour ramener trois locaux enlevés en 1830 et initiés à la culture anglaise, dans le but de les utiliser comme traducteurs. Les Yagán, qui seront par la suite presque exterminés par la colonisation, ont conservé longuement cette étiquette de peuple misérable.

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