Par Elsa Collobert
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Dans les Vosges, des caméras à l’affût du réchauffement climatique

Les randonneurs croisent de plus en plus souvent des caméras installées dans les massifs montagneux. Dans les Vosges, la première a récemment fait son apparition, dans le cadre d'un projet collaboratif. Elles servent de sentinelles aux chercheurs pour documenter finement les effets du changement climatique sur la végétation, en complément d'outils plus macroscopiques, comme les satellites. Les explications de Pierre-Alexis Herrault et Damien Ertlen, du Laboratoire image, ville, environnement (Live, Unistra/CNRS).

A environ 1 300 mètres d'altitude, en haut d'un mât, la caméra surplombe la prairie du Rotenbach, en contrebas du sommet du Batteriekopf.

Installée en juillet dernier, elle est réglée pour capter cinq images par jour du site, pour documenter son évolution dans le temps, décrit Pierre-Alexis Herrault. Le géographe est à l'origine du projet Phénomène, pour « Phénologie multi-échelles des prairies de moyenne montagne par télédétection ».

La phénologie est un bon indicateur du réchauffement climatique

La phénologie, l'étude des variations des phénomènes périodiques de la vie animale et végétale, est un bon indicateur du réchauffement climatique. Ce dernier impacte fortement les milieux d’altitude et les espèces qui les composent. Ces dernières peuvent réagir à ces bouleversements en s’acclimatant ou en s’adaptant. Mais comment mesurer ces effets et leurs conséquences ?

Nous manquions d'observations fines et répétées dans le temps, poursuit Pierre-Alexis Herrault. La télédétection – le recueil et l'analyse de données à distance – vient pallier les limites des observations sur le terrain : équipée de capteurs visibles et infrarouges, la caméra permet un suivi colorimétrique du site. Les signaux captés retranscrivent l’activité chlorophyllienne des végétaux : très concrètement, on mesure l’évolution des prairies grâce aux photos acquises, que l'on traite automatiquement. Cet été, c'était déjà flagrant et particulièrement rapide.

Milieu remarquable de hautes-chaumes

Myrtille, callune, pulsatille blanche, arnica... Les prairies des Vosges ont ponctuellement déjà fait l’objet de plusieurs inventaires démontrant une diversité d’espèces très importante. Un écosystème remarquable de hautes-chaumes, souvent pâturées, classées réserve naturelle, décrit Pierre-Alexis Herrault.

Autre intérêt du projet : combiner les échelles d'observation. En utilisant des modèles statistiques, on va pouvoir mettre en relation ces données fines avec celles recueillies sur de plus grandes étendues, par satellite. L’objectif est aussi d’obtenir une batterie complète de données terrain à l’emplacement des caméras, notamment via des prélèvements dans le sol, des relevés botaniques ou climatiques, dans le but de mieux comprendre les relations caméra-satellite et l’influence des conditions locales sur le signal relevé, complète Damien Ertlen, pédologue (spécialiste des sols).

Science participative

Comme le projet est mené en réseau, tout un panel d'acteur est intéressé par les données recueillies (lire encadré). Avec l'idée de combiner les échelles spatio-temporelles, nous les mettons en ligne sur le site de science participative Phénocam. On dispose des données pour d'autres sites comparables de moyenne montagne en Italie ou en Slovénie, mais en France, ce genre de dispositif est plutôt cantonné aux Alpes et aux Pyrénées, précise Pierre-Alexis Herrault.

Les observations sont attendues pour des cycles pluri-annuels. De premières observations significatives vont pouvoir être tirées au bout d'un cycle complet de quatre saisons. Cet hiver, ça va par exemple être intéressant de voir l'évolution du manteau neigeux et ses effets sur la reprise de la végétation. Pour cela, deux autres caméras devraient venir compléter le dispositif en début d'année 2023, là aussi dans le Parc naturel régional des Ballons des Vosges.

Un projet interdisciplinaire et multipartenarial

Lancé en 2022, le projet Phénomène réunit des géographes, des pédologues (spécialistes des sols), des écologues, des climatologues… chercheurs au sein du LIVE à Strasbourg mais aussi l'Unité mixe de recherche (UMR) Biogéosciences (Université de Bourgogne Franche-Comté/CNRS/Ecole pratique des hautes études).

Intéressés au premier chef par ces observations, le Conservatoire des sites naturels alsaciens (CEN) et le Parc naturel régional des Ballons des Vosges sont aussi associés au projet, en participant à l’installation et à la maintenance du matériel en place.

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