1525, sur les traces d’une révolution oubliée
L’Alsace fut l’un des épicentres de la guerre des paysans, qui fit trembler le Saint Empire romain germanique au début du 16e siècle, avec ses aspirations à l’égalité des plus basses classes de la société féodale. Retour sur quelques traces archéologiques laissées dans la région par ce soulèvement populaire précurseur, en cette fin d'année 2025, commémorant les 500 ans de l’événement.
Dès les travaux préparatoires du jubilé, Jacky Koch, chercheur à Archéologie Alsace, rattaché au laboratoire Archéologie et histoire ancienne : Méditerranée-Europe (Archimède, Unistra/CNRS/UHA/ministère de la Culture/Inrap), a douché une partie des espoirs des passionnés d’histoire locale : Il reste très peu de traces archéologiques d’un épisode vieux de cinq siècles
. Même la Première Guerre mondiale (1914-1918) a laissé relativement peu de vestiges, tant les champs de bataille furent rapidement nettoyés. Pour la guerre des paysans, les combats étaient éclairs : en quelques heures, tout le monde était mort, comme l’attestent les sources, par exemple pour la bataille de Lupstein, près de Saverne
, souligne son collègue du laboratoire Archimède, Jean-Jacques Schwien.
Mouvement coordonné
Pour autant, cela ne signifie pas que l’archéologie soit muette sur ce soulèvement des classes paysannes contre les privilèges féodaux, nourri par les idées de la Réforme protestante. Il existe en Alsace un prisme de lecture très local de l’événement, hérité de son histoire ultérieure la rattachant à la France
, rappelle Jean-Jacques Schwien. Or, la révolte fut coordonnée à l’échelle d’une large partie du Saint Empire romain germanique, touchant surtout l’actuel Bade-Wurtemberg (sud de l’Allemagne).
Les deux archéologues ont contribué au récent Dictionnaire de la guerre des paysans, dirigé par Georges Bischoff, professeur émérite de l'Unistra et spécialiste majeur du sujet (lire encadré). Pour Jean-Jacques Schwien, les terrains d’étude sont aussi les ossuaires, un mode de représentation de la mort sans doute hérité de la Peste noire, qui décima au 14ᵉ siècle jusqu’à la moitié de la population européenne. Il enquête notamment à Epfig et Lupstein, près de Sélestat et de Saverne, où les armées du duc de Lorraine écrasèrent les insurgés, au printemps 1525. Les victimes alsaciennes et mosellanes seraient entre 25 000 et 30 000.
Travail de police scientifique
À Epfig, une étude initiée il y a cinquante ans par des historiens amateurs – dont un dentiste – a examiné 200 crânes : de nombreux individus étaient des hommes jeunes, et un quart portait des traces de coups violents, notamment les trous carrés caractéristiques des masses d’armes et les lésions provoquées par des lames tranchantes – épées hallebardes, haches.
En l'absence d'un inventaire exhaustif, les ossuaires conservent pour l'heure leurs secrets
Jean-Jacques Schwien aurait souhaité une datation par le carbone 14 : elle aurait permis de distinguer les victimes de 1525 de celles de la guerre de Trente Ans (1618-1648), avec une marge d’erreur de cinquante ans
. Faute de crédits, les ossuaires conservent leurs secrets, en l’absence d’un inventaire exhaustif, qu’il reste à établir
.
De son côté, Jacky Koch a étudié un vaste incendie survenu à Châtenois. Dix ans de fouilles lui ont permis d’en attester l’origine criminelle, grâce à une multiplicité d’indices, collectés à la manière de la police scientifique
: quatre bâtiments dans le voisinage du presbytère actuel furent incendiés, probablement lors d’un pillage lié à la bataille voisine de Scherwiller. À Lupstein, le « Sherlock Holmes de l’archéologie » a dirigé une enquête orale menée par des étudiantes de master, dans l’espoir de récolter des éléments de mémoire populaire. Nous sommes arrivés trop tard : ces traces se sont perdues
, regrette-t-il.
Traces de mémoire
Les deux chercheurs invitent à la prudence : Il faut s’en tenir aux écrits et aux vestiges, sans extrapoler. Nous ne pouvons émettre que des hypothèses
. Pourtant, même parcellaires, leurs résultats lèvent davantage le voile sur un pan d’histoire méconnu. À Châtenois, un espace dédié de la Maison du tourisme et du patrimoine présente les découvertes archéologiques, dont plusieurs boulets de pierre, attribués à la guerre des paysans. On a pu démontrer que les insurgés étaient organisés et armés
, souligne Jean-Jacques Schwien, qui insiste également sur la valorisation des travaux d’histoire locale, tel l’article de 1977, désormais remis en lumière*.
Autre contribution, et non des moindres, au travail d’aide-mémoire événementiel mené cette année : dans son dictionnaire, Georges Bischoff n’hésite pas à parler de révolution
, plus seulement de révolte
. Un glissement sémantique loin d’être anodin : Ce n’était pas une révolte de la faim, il y avait bien un programme politique et cohérent des insurgés, avec l’émission d’une proto-"Déclaration des droits", plus de deux siècles avant la Révolution française
.
Pour en savoir plus sur la guerre des paysans, voir le documentaire de France Télévision, avec Georges Bischoff (professeur émérite) et Matthieu Arnold (Faculté de théologie protestante)
* « Anthropologie des paysans, Massacres en 1525 près d’Epfig », Danielle Fevre, Jean Lavergne, Jean-Pierre Rieb, in Recherches archéologiques médiévales de la France de l’Est, 1977
Une année jalonnée d'événements
Un colloque
La commémoration a été lancée en octobre 2024, par une journée d’études à la Bibliothèque humaniste de Sélestat, sous la direction de Georges Bischoff et de Gabriel Braeuner, historiens et membres fondateurs de l’association « 1525, une révolution oubliée ». Les interventions ont posé les premiers jalons scientifiques de l’année.
Un dictionnaire
Le Dictionnaire de la guerre des paysans : 1525, en Alsace et au-delà, dirigé par Georges Bischoff, réunit une centaine de contributions. Fruit d’un partenariat entre l’association « 1525, une révolution oubliée » et la Fédération des sociétés d’histoire et d’archéologie d’Alsace, avec le soutien des éditions La Nuée Bleue, l’ouvrage offre une mise en perspective générale de l’événement. Il constitue l’une des principales contributions de l’Alsace à ce demi-millénaire.
Plus d’informations
Une exposition
Présentée aux Archives d’Alsace (site de Strasbourg), l’exposition « Liberté et Fraternité. 1525, la Guerre des Paysans en Alsace » rassemble manuscrits originaux, gravures, imprimés satiriques et documents rares. Elle met en lumière les idéaux de liberté et de fraternité portés par les insurgés.
Plus d’informations
Une association
En 2018, alors que la France est secouée par le mouvement des Gilets jaunes, quelques passionnés d’histoire de la région se réunissent autour de Georges Bischoff, dans la perspective de commémorer les 500 ans de la guerre des paysans, en 2025. L’association « 1525, une révolution oubliée » est créée en 2022, initiant de nombreux projets, en Alsace et au-delà.
Leur site web est une mine d’informations pour qui s’intéresse à cette histoire : il recense notamment tous les événements organisés autour de l’année commémorative. Mais aussi ressources médias, podcasts…
Un spectacle
Basé sur une documentation extrêmement solide, et sans jamais se départir de la vérité historique, Les rustauds racontent et chantent la Guerre des Paysans de 1525 est imaginé par quatre artistes, plongeant le spectateur 500 ans en arrière, grâce à la composition de 17 tableaux. De mars à octobre 2025, 21 représentations ont été données, en Alsace et Moselle.
Sylvie Hieber, Michel Hugony, Charly Damm et Alain Kermann unissent leurs talents de conteurs, musiciens et interprètes pour raviver ce pan d’histoire régionale, en faisant résonner quatre langues, français, alsacien, allemand et platt (avec le soutien de l’Office pour la langue et les cultures d’Alsace et de Moselle - Olca).
Une captation vidéo sera prochainement disponible auprès de l’Association pour la culture, les lettres, les arts, la musique et l’éducation (ACLAME), au prix de 15 € : plus d’informations
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