Par Marion Riegert
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11 novembre, de la difficulté de commémorer les morts alsaciens et lorrains

Chaque année, le 11 novembre, la France rend hommage aux morts tombés pour la France durant la Première Guerre mondiale. En Alsace et en Moselle, où les soldats ont combattu dans l’armée allemande, la politique mémorielle est plus complexe et s’est construite autour d’une mémoire nationale hégémonique. Explications avec Raphaël Georges, chercheur associé aux laboratoires Arts, civilisation et histoire de l'Europe (Arche) et au Laboratoire interdisciplinaire en études culturelles (Lincs – CNRS/Unistra), qui consacre un livre au sujet.

11 novembre 1918, l’armistice est signé, l’Alsace-Lorraine, allemande depuis 1871, revient à la France. Rapidement, la question du deuil et du souvenir se pose. 37 500 soldats lorrains et alsaciens sont tombés dans les rangs de l’armée allemande. Comment ancrer leur souvenir dans le culte rendu par la nation aux morts de la guerre, alors qu’ils ont combattu dans l’armée ennemie ?, interroge Raphaël Georges. 

Des monuments aux morts neutres

La France valorise les poilus avec des monuments portant les insignes militaires et faisant état de soldats « morts pour la France ». En Alsace et en Moselle, les autorités publiques tentent de contrôler l’édification des monuments aux morts afin d’éviter toute référence au passé de combattant allemand des soldats. Les municipalités locales doivent ainsi envoyer un pré-projet et un cahier des charges est mis en place.

Porter un discours en français neutre et général

Il stipule que les monuments doivent être réalisés dans un style sobre, suggérant un obélisque, et porter un discours en français neutre et général. Comme à nos enfants tombés pendant la guerre, dans une dimension plus funéraire que politique. Les prénoms des soldats sont également francisés.

Écrire un récit commun 

Les discours des commémorations sont également lissés et conformes au récit national qui rend hommage aux poilus. Il s’agit partout en France d’écrire un récit commun dans lequel tout le monde se reconnait et donc de prendre en main le souvenir exprimé dans l’espace public. Ici, l’enjeu principal pour les autorités est d’assimiler la population alsacienne et lorraine de manière rapide, avec le souci d’apaiser les relations entre les poilus et ces anciens soldats allemands.

Un discours est ainsi créé présentant les soldats comme ayant été contraints par le sort à combattre dans l’armée allemande. C’est une caricature qui ne tient pas compte de la réalité du terrain, les soldats étant nés allemands contrairement à la Seconde Guerre mondiale.

Vers une appropriation du récit national

Côté population locale, peu d’éléments subsistent sur la réception de cette politique mémorielle. Ce que nous avons observé c’est qu’il n’y a pas eu de mouvements de contestation importants. Les gens ont bien compris que leur histoire n’allait pas être valorisée et que leur intérêt est de se conformer aux attentes du vainqueur. Ils savent que s’ils veulent s’intégrer, ils doivent garder cette expérience pour eux.

Les associations des anciens combattants elles-mêmes s’approprient ce discours national, notamment pour permettre aux soldats blessés ou mutilés d’obtenir la même reconnaissance que les autres et d’accéder aux même soins et pensions. 

Des mouvements politiques autonomistes proposent un contre-récit 

Mais à partir des années 1930, des voix s’élèvent pour contester cette mémoire nationale : Il s’agit de mouvements politiques autonomistes qui proposent un contre-récit, lui aussi orienté, mais en sens inverse. Aujourd’hui, le combat est repris par les régionalistes : L'association Unsri Gschicht milite pour réhabiliter la mémoire des Alsaciens et des Lorrains, en demandant aux maires notamment de proposer un message différent. Le parti politique Unser Land essaye de son côté de créer des cérémonies alternatives. Mais ils oublient la dimension intégrative qu’avait ce récit. 

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