Le plurilinguisme, un enjeu pour l’intégration et le vivre-ensemble
Proposé comme valeur cardinale par le Conseil de l’Europe depuis les années 2000, le plurilinguisme en est encore à ses balbutiements. L’enjeu est pourtant majeur pour l’avenir de la démocratie, nous rappelle Andrea Young, professeure des universités en anglais et chercheuse au laboratoire Linguistique, langues, parole (Lilpa).
Pour moi un coucher de soleil, je le ressens en français, en allemand, en anglais ou en alsacien, de cette façon je peux jouir de quatre couchers de soleil à la fois, au niveau astral c’est pas mal.
* Les mots du facétieux dessinateur Tomi Ungerer, le plus cosmopolite des dessinateurs alsaciens (ou est-ce l’inverse ?) ont été repris dans l’enceinte de la Collectivité européenne d’Alsace, fin novembre, à l’occasion de la conférence « Plurilinguisme : enjeux, bénéfices et perspectives en Europe et en Alsace », proposée dans le cadre des Mercredis du Conseil de l’Europe.
« Le plurilinguisme, c’est autant de paires de lunettes à disposition du locuteur pour regarder le monde »
Une invitation à célébrer la diversité des langues, en cette année 2025 dédiée au plurilinguisme, relayée par la chercheuse Andrea Young, chercheuse et enseignante à l’Institut national supérieur du professorat et de l’éducation (Inspé) : Le plurilinguisme, c’est autant de paires de lunettes à disposition du locuteur pour regarder le monde
.
Habitus monolingue français
Dans une France au fort « habitus monolingue » (notion forgée par l'universitaire Ingrid Gogolin), Andrea Young s’implique dans le projet ACTIN (lire encadré), co-financé par l’Union européenne. Son objet ? La prise en compte des langues familiales dans l’apprentissage de la langue de scolarisation comme enjeu d’intégration, menée au plus près du terrain : deux écoles élémentaires de Strasbourg et deux collèges de Molsheim sont impliqués.
Dans certaines écoles, on retrouve de 40 à 50 langues parlées par les élèves
, s’émerveille Andrea Young. À la maison, on parle soit uniquement ces langues, soit en tandem avec le français.
Un véritable arc-en-ciel d’idiomes, comparable en termes de richesses à la biodiversité pour la nature… Strasbourg fait figure de creuset, on parle alors de “super-diversité”
. Sauf que pour Andrea Young, celle-ci est sous-exploitée, voire niée.
Dans certaines écoles, de 40 à 50 langues parlées par les élèves : un véritable arc-en-ciel d'idiomes
Alors qu’il y a des recommandations depuis une dizaine d’années dans les programmes scolaires de l’Education nationale française, et que le Conseil de l’Europe s’est doté d’un Cadre de référence, faute de temps, de moyens, d’intérêt, etc., certains enseignants vont jusqu’à interdire aux enfants de parler à l’école la langue de la maison…
Échafaudage et terreau
Face au risque réel de domination de l’anglais ou encore d’infusion de l’idée qu’il existerait une hiérarchie des langues, il y a urgence à agir : Les langues sont complémentaires, pas concurrentes
, rappelle Andrea Young. Lors de la conférence, Sarah Breslin, directrice exécutive du Centre européen pour les langues vivantes (CELV) et cheffe des politiques linguistiques au Conseil de l’Europe, a présenté les langues comme outils cognitifs, appuis et « échafaudages » pour les apprentissages et le développement langagier et culturel des enfants. Bi- et plurilinguisme leur permettent de comparer les structures linguistiques, confronter différentes façons de penser et d’organiser la réalité.
Valoriser ces compétences déjà acquises nourrit la confiance, la motivation et, in fine, la réussite scolaire. Quand j’interroge mes étudiants de master à l’Inspé, futurs enseignants, peu se considèrent plurilingues : ils placent le seuil trop haut
, constate Andrea Young. Elle rappelle que la notion de plurilinguisme s’entend comme la capacité à communiquer à des degrés divers dans plusieurs langues : Il s’agit de pouvoir communiquer, dans différents registres
. Elle pointe aussi l’insuffisance de la formation : En master, les futurs enseignants du premier degré reçoivent seulement six heures de formation obligatoire sur comment et pourquoi prendre en compte le plurilinguisme de leurs élèves. C’est nettement insuffisant !
Instrument politique en faveur de la paix
Pour le Conseil de l’Europe, qui réunit 49 États, de l’Islande à l’Azerbaïdjan, soit davantage que l’Union européenne, le plurilinguisme est un instrument politique pour la paix et le vivre-ensemble. Andrea Young appelle à passer de la théorie à la pratique : Le plurilinguisme est bien documenté, mais il peine encore à entrer dans les classes. On demande beaucoup aux enseignants
. Elle souligne l'importance de développer une conscience linguistique (language awareness) chez les enseignants, en tant qu’outil pour favoriser l’écoute et l’ouverture à la diversité, indispensables au futur de nos démocraties.
- Visite virtuelle de l’exposition « L’éducation aux langues au cœur de la démocratie »
- En savoir plus sur le Cadre européen commun de référence pour les langues (CECR) du Conseil de l’Europe
- Découvrir les ressources en ligne proposés par le Centre d'apprentissage et de ressources pour une éducation aux langues (Carel) de l’Université de Strasbourg
* Citation tirée de La Revue des livres pour enfants, No. 171, September 1996 — special issue « Tomi Ungerer », p. 49
Agir et se connecter pour l'intégration
Le projet européen ACTIN, pour Act and connect for Integration : Language learning & cultural awareness, s’appuie sur une approche pratique avec des classes de collège et d’école élémentaire. Il vise à construire une école plus inclusive, en intégrant les identités linguistiques et culturelles des élèves.
Les familles sont impliquées pour transmettre un message clair : Ta langue est une richesse, ta culture est une ressource
, explique Andrea Young. Elle et Sarah Breslin (Conseil de l'Europe) prennent plusieurs exemples de projets menés dans la région avec des familles d'élèves, notamment de langue romani, le translanguaging pédagogique observé dans une classe de maternelle à Mulhouse, ou encore le projet Didenheim mené dans le sud de l’Alsace il y a 20 ans.
Valoriser la diversité linguistique et culturelle à l’école accroît le capital intellectuel et social de notre société
, conclut Sarah Breslin.
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