Par Elsa Collobert
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« On ne peut pas créer dans l’acceptation du monde qui nous entoure »

Tour d’horizon de la manifestation à la programmation détonante et multiple – théâtre, cirque, cabaret drag queen, DJ set... – avec l’auteurice complice de cette 5e édition, Anette Gillard.

Comment s’est fait le choix du thème du festival, « Inévitables révoltes » ?

Après les « affaires sordides » en 2021, ça n’a pas été facile cette année !

Finalement on est arrivés à ce choix qui répond au contexte politique national, même si on voit bien au-delà !

Ce choix croise de multiples raisons de se révolter. Nous sommes une génération traversée par l’éco-anxiété, on sait qu’on vivra moins bien que nos parents.

Mettre en rêve certaines luttes

Ce thème traverse depuis longtemps nos questionnements, nos écritures, celles de Sacha Vilmar le directeur artistique du festival, les miennes ou celles de l’autrice invitée de l’année dernière, Romain Nicolas.
Alors certes, lui appelait à « un théâtre de la destruction ». Moi je me reconnais totalement dans la vision de Sacha de mettre en rêve certaines luttes, ce qui laisse de la place à l’espoir. Mais les deux visions ne sont pas incohérentes. L’espoir est un puissant moteur de révolte. De même que l’art : on ne peut créer dans l’acceptation du monde qui nous entoure. Cela ouvre des perspectives à la fois puissantes et réjouissantes et c’est ce que cherche Démostratif. On retrouve cette dualité dans la programmation : on cherche à la fois à bousculer le public, mais aussi à le faire rire.

Comment cette thématique résonne par rapport à votre propre travail ?

Ma famille est de toutes les manifestations alors les luttes, j’ai toujours baigné dedans ! Elles se recoupent forcément : féminisme ou représentation des personnes queer vont de pair avec l’antiracisme, l’anticapitaliste, l’écologie…

Pour ma « carte blanche » au festival Démostratif, j’ai choisi d’interroger mon entourage, mes amis, ma mère, sur leurs révoltes, en quoi elles les freinent ou les libèrent.

Le résultat, c’est un podcast à plusieurs voix. Un format qui m’intéresse beaucoup, au matériau modulable, plus accessible qu’un livre.

Les deux autres formes que je présente sont l’aboutissement de mon travail de réflexion et d’écriture de plusieurs années. Albert Camus est un auteur qui a inspiré mes réflexions sur la révolte : il distingue celle-ci, intime, réponse à l’absurdité, de la révolution s’opposant à un système.

Une programmation queer et inclusive

Né.es avant la honte raconte l’histoire de la construction d’une jeune femme en opposition à son grand patron de père. Une forme que j’ai voulue éphémère : elle vivra le temps de cette édition du festival. Vives, fortes, ensemble, imagine une société sans hommes.

Ces deux propositions se nourrissent d’une réflexion féministe à laquelle je suis venue finalement assez tard, à la vingtaine. Je suis heureuse de constater, à travers notamment mes interventions en lycées, que les plus jeunes générations (j’ai 26 ans) intègrent ces réflexions de plus en plus tôt.

Avec Sacha Vilmar, directeur artistique du festival, c’est un long compagnonnage qui vous unit…

Depuis notre rencontre à l’université, à la Faculté des arts, il y a sept ans, nous n’avons jamais cessé de travailler ensemble, dans une sorte de ping-pong complice et artistique. Nous avons fondé ensemble notre première compagnie, « Un homme un femme » ; j’ai été son assistante metteuse en scène sur son premier spectacle à l’Artus ; il a mis en scène ma première pièce, M pour Médée, en 2019 ; j’étais stagiaire sur Démostratif l’an dernier…

Des spectacles à nous conseiller ?

Des amis m’ont demandé de leur faire une liste des spectacles à ne pas manquer. J’en ai été incapable !

Le cabaret drag queen à l’église Saint-Guillaume, connue pour être LGBTQIA+ friendly, promet d’être un moment d’anthologie.

Kalika en tête d'affiche

Je suis aussi très fière que nous ayons pu programmer en tête d’affiche Kalika. Avant les grands festivals de l’été, elle chantera à la Krutenau ses histoires d’amour et de sexe. Celle d’une jeune femme de 22 ans de son époque.

Il y aura aussi des surprises, des performances dans les files des spectacles.
Bref, en tout il y a 37 propositions sur cinq jours et j’ai envie de tout voir ! On a fait en sorte que ce soit possible, en ne programmant jamais plusieurs spectacles en même temps.

Comment fait-on pour faire venir un public pas forcément acquis à ces thématiques…

Alors l’idée est d’abord de créer un espace safe. On ne va pas jusqu’à espérer convertir des intolérants. Mais cette année encore plus que l’année dernière, pas mal d’actions sont mises en place pour rayonner au-delà de notre « premier cercle ». Des classes de collège vont ainsi venir voir le spectacle sur le consentement. Et on mène pour la deuxième fois une action avec l’association Alt 67 d’aide aux personnes concernées par l'addiction. Egalement dans l’idée d’élargir notre public, une soirée afterwork pour les personnels de l’université a été imaginée avec notre premier soutien, le Service de l’action culturelle (Suac).

L’idée est toujours de créer un espace de rencontres et de discussions. La grande majorité des troupes invitées, on ne les connaissait pas. La dimension internationale de la programmation s’est encore accentuée. On a été positivement surpris de recevoir beaucoup de propositions de troupes d’Afrique de l’Ouest. C’est le danseur burkinabé Moussa Samaké, avec son spectacle Kouma Fereleen, inspiré de son passé d’enfant des rues, qui va les représenter. Notre cercle s’élargit, et nous en sommes très heureux !

Programmé début juillet l’an dernier, le festival retrouve son calendrier initial…

On avait dû faire ce choix l’an dernier pour ne pas subir des heures de couvre-feu. Que ce soit dans le nombre de spectacles et dans la diversité des propositions, le festival prend encore de l’ampleur et on ne peut que s’en féliciter. Quand on y pense, il n’y avait que cinq spectacles en 2019 ! Les bénévoles étudiants, même les plus jeunes, ont répondu présent.  Des étudiants en master Approche critique des arts de la scène nous épaulent. Nous avons pu nouer un nouveau partenariat avec la librairie indépendante Quai des brumes !

On est aussi très fiers cette année de pouvoir avoir une petite équipe salariée, avec un responsable des publics et un responsable logistique.

* Démostratif est financé dans le cadre du Schéma directeur de la vie étudiante (SDVE) – Contrat de site Alsace ; par la Ville de Strasbourg ; la Région Grand Est et la Collectivité européenne d’Alsace

Citation

Je ne vous ferais pas la liste de tout ce qui me révolte, nous n’en finirions pas.Je ne vous ferais pas l’affront de vous expliquer pourquoi nos révoltes sont inévitables, imparables, inexorables.

Anette Gillard, auteurice complice du festival Démostratif

Citation

Une part de moi ne peut s’empêcher de penser que ce monde est fou. Fou d’être si peu à l’écoute des grondements, si peu sensible aux changements, si peu tourné vers les différences, si peu curieux à l’égard de l’invraisemblance. En réalité, au regard de l’ordre établi, je suis l’heureux bouffon d’un monde qui me tient pour fou.

Sacha Vilmar, directeur artistique du festival Démostratif

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