« Et si les femmes n'existaient pas ? »
Une résidence « Écrire l’Europe » ; un prix de littérature étudiante au nom de Louise Weiss dont elle est la marraine ; une thématique d’écriture pour ce prix, « Femmes » : échange avec Lenka Horňáková-Civade, écrivaine d’expression tchèque et française, autour de ces trois points d’ancrage, à l'occasion du lancement conjoint du prix et de la résidence, mardi 21 octobre.
En introduction de votre discours, mardi 21 octobre, vous lancez cette question volontairement provocante : « Et si les femmes n’existaient pas ? »
« Femmes » est un très beau thème, et ma question sur leur inexistence n'a rien de provocant ni d'excluant. Je me la pose en raison de ma double expérience. Née en 1971, en Tchécoslovaquie, un pays qui n'existe plus, j'entendais souvent dire que La femme est un homme comme un autre
. J'avais 18 ans en 1989, le mur est tombé au bon moment pour moi. Quatre ans plus tard, je m'installais en France. Je ne connaissais pas Gisèle Halimi, Élisabeth Badinter, Benoite Groult, et je n'avais pas lu Simone de Beauvoir. Et je l'avoue : je ne comprenais pas toujours leurs écrits, leurs revendications et leurs combats. J'ai été surprise de découvrir les différences entre la situation des femmes dans mon pays d'origine et celle dans mon pays d'adoption.
Ce thème doit être interrogé. Il traverse notamment mon premier roman, Giboulées de soleil, dans lequel j'explore l'histoire de quatre générations de femmes tchèques.
Même si j'ai vécu la révolution — celle de Velours — je suis réformiste. Je considère que les femmes et les hommes doivent être des partenaires, non des adversaires, dans la construction et l'amélioration de la société.
« Et si la liberté des femmes ne résidait ni dans l'oubli de leur condition, ni dans la revendication constante de leur différence ? »
Et si la liberté des femmes ne résidait ni dans l'oubli de leur condition, ni dans la revendication constante de leur différence ? Peut-être émerge-t-elle lorsque les cadres juridique, politique, social, etc., permettent à chacune de devenir pleinement elle-même ?
C'est dans la tension entre l'universel et le singulier, entre le cadre légal et l'expérience vécue, que se joue l'émancipation véritable, qui est valable pour les hommes comme pour les femmes.
Comment envisagez-vous votre rôle de marraine ?
Avec beaucoup de fierté et d'humilité ! Travailler avec les jeunes est à la fois surprenant et passionnant. Je prends ce rôle très au sérieux. J'apprécie que le jury du prix soit constitué à parité d'étudiants et de pédagogues. Pas d'hiérarchie, mais une écoute et une discussion d'égal à égal.
L'exceptionnel de ce concours est aussi son ouverture à d'autres langues. Outre le français, on y trouve de l'anglais et de l'arabe.
L’Europe est à la fois indissociable de votre travail et de votre présence à Strasbourg…
J’aime à penser que notre continent est façonné par deux figures mythologiques fondatrices : Ulysse et Europe. D'un côté, il y a celui qui cherche à rentrer chez lui, nostalgique à jamais ; de l'autre, cette aventurière exilée, condamnée à sa réinvention perpétuelle, qui trace ainsi sa propre route. J’explore cette idée dans mon dernier livre, Moi, Europe.
L’Europe, en raison de sa complexité, échappe à toute définition simple ; la qualifier (de politique, industrielle, mythologique etc.), revient déjà à la réduire. De la même manière qu’aucune femme ne veut être « toutes » les femmes, mais aspire à exister dans sa singularité, l'Europe revendique le droit d'exister par elle-même, et dans un ensemble sans être uniformisée. L’Europe est avant tout riche des identités multiples qui la composent et qui y coexistent. Je peux tout autant me sentir Tchèque que Française, sans hiérarchiser ces appartenances.
On peut le lire et relire chez certains écrivains européens qui me servent de repères, presque de boussoles : Stefan Zweig, Milan Kundera, Marguerite Yourcenar, Karel Čapek, Joseph Roth, Franz Kafka et Milena Jesenská, ou encore les Triestins Paolo Rumiz ou Boris Pahor, et chez tant d'autres.
Que représente la figure de Louise Weiss, pour vous ?
Je me sens proche d’elle, entre autre parce qu’elle connaissait la Tchécoslovaquie, qu'elle y avait des amis.
C'était une femme originale et libre, dans son éducation, sa manière d'aborder le monde et de le raconter. Elle a pu être critiquée, car elle ne correspondait pas aux attentes. Inclassable et curieuse, elle ne se réclamait d'aucune chapelle, échappait aux étiquettes et ne construisait pas de carrière. C'est peut-être pour cette raison qu'on la connaît de moins en moins. Elle mériterait davantage de résonance dans notre société contemporaine.
13e édition du prix Louise-Weiss
Le prix Louise-Weiss de littérature a pour objectif d'encourager tant l’écriture de textes que leur lecture et leur sélection par la communauté estudiantine : les étudiantes et étudiants de l’université sont invités à composer des écrits en langues française, anglaise ou arabe, dans leur choix de genre littéraire, sur une thématique donnée, et à sélectionner leurs lauréats.
Treize textes – sept en français, trois en anglais et trois en arabe – sont présélectionnés par un jury constitué à parité d’écrivains, d’enseignants et d’étudiants, puis soumis à la lecture et au vote électronique de l’ensemble de la communauté estudiantine.
Concours d’écriture réservé aux étudiantes et étudiants inscrits à l’Université de Strasbourg pour l’année universitaire 2025-2026.
Calendrier :
- Annonce du thème d'écriture et ouverture du concours : 21 octobre 2025
- Inscription au concours & dépôt des textes : du 21 octobre 2025 à 14h au 1er décembre 2025 à 16h
- Ouverture des votes étudiants : du 23 février 2026 à 14h au 12 avril 2026 à minuit
- Cérémonie de remise des prix : 7 mai 2026
- Publication : automne 2026
Plus d’informations
« Femmes », par Lenka Horňáková-Civade
« En elles circule une force ancienne, indomptable, en perpétuel renouvellement, telle une rivière souterraine qui ne tarit jamais.
Elles échappent à toutes les définitions, car elles les contiennent toutes.
Elles portent tous les adjectifs : les plus doux, les plus furieux, les plus farfelus, les plus paradoxaux.
Rien ne les égratigne, tout les traverse.
Elles sont à la fois silence et cri, douceur et colère, patience et feu, abîme et élévation.
Il n’est pas de contradiction qu’elles ne sachent habiter, pas de folie qu’elles ne sachent transfigurer.
Elles précèdent, elles portent, elles transmettent.
Elles sont le commencement.
Et même lorsque le monde les oublie, les réduit, les efface, elles persévèrent.
Avant chaque premier battement de cœur, avant chacun d’entre nous, il y a les femmes. »
Proposé par la Faculté des langues et la Faculté des lettres de l’Université de Strasbourg, avec la Bibliothèque nationale et universitaire de Strasbourg, Écrire l’Europe - Prix Louise-Weiss est porté par le Service universitaire de l’action culturelle avec le soutien de la Drac Grand Est et de la Maison d'édition scientifique - Presses Universitaires de Strasbourg, en collaboration avec le Service des bibliothèques de l'université, l’Institut européen des métiers de la traduction (IEMT), l'Institut thématique interdisciplinaire Lethica et les Musée et Ville de Saverne.
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