Par Elsa Collobert
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119 noms de déportés pour un podcast étudiant

Faire vivre et partager la mémoire des 119 noms de la plaque commémorative située à l’entrée du Palais universitaire : dans le sillage de leur enseignant Alexandre Sumpf, une dizaine d’étudiants se sont saisis de cette histoire. Un épisode du podcast « Les échos de la plaque » est dévoilé chaque mercredi toutes les deux semaines. L’occasion d’y découvrir la trajectoire particulière de chacun et chacune de ces jeunes inconnus, déportés en 1943.

Qui étaient Bhimo Jodjana, Louis Heim, Samuel Bader, Monique Feldstein ? Que reste-t-il comme souvenirs de leur vie ? Pour le savoir, rendez-vous sur la plateforme Spotify, où est dévoilé un mercredi sur deux un épisode consacré à des biographies. Celles des 119 noms inscrits en lettres dorées sur le marbre de la plaque commémorative, située à gauche de l’entrée du Palais universitaire. Sept épisodes sont déjà en ligne, dont deux de contextualisation.

Avec ces formats sonores, on cherche à redonner vie à cette mémoire en train de s’effacer au fur et à mesure que disparaissent les derniers témoins de la rafle de 1943, résument Laure Decker et Quentin Bessone, étudiants en deuxième année de master Histoire et civilisations de l’Europe, passionnés d’histoire locale, à laquelle ils consacrent tous deux leur mémoire.

Remettre un visage sur un nom

Armés de leur micro et de leur ordinateur, ainsi que du logiciel de montage Audacity, ils sont à l’initiative du podcast « Les échos de la plaque », aux côtés de plusieurs camarades, dans le but de toucher des personnes de notre âge avec ce format. Il a fallu s’initier à des techniques d’écriture, de prise de son et de montage auxquelles ils ne connaissaient rien. On tâtonne, on apprend de nos erreurs, parfois aussi on se laisse emporter en enregistrant des séquences beaucoup trop longues ! Il y a alors un long travail de montage à faire.

Un passionnant travail d'enquête

Remettre un visage sur un nom s’avère souvent compliqué, mais parfois surprenant : Pour Paul Engel, on a réussi à retrouver sa photo sur un site de fans du Racing Club de Strasbourg !  Un passionnant travail d’enquête, qui est abordé dans le podcast, et constitue l’un de ses intérêts : Par exemple, pour le premier épisode biographique consacré à Samuel Bader, étudiant et résistant Gergoviote lors de la période du repli de l’Université de Strasbourg à Clermont-Ferrand, nous avons interviewé notre camarade, qui a établi sa biographie. Maria Baldeck a ainsi réussi à retrouver la trace de la famille du jeune résistant jusqu’en Suisse.

Apprentissage entre pairs

L’idée, avec ce projet, est de favoriser l’apprentissage entre pairs, souligne Alexandre Sumpf. À l’origine : un séminaire de master, débuté en 2023, lors duquel les étudiants ont travaillé à établir les notices biographiques de certains des 119 noms, avec les outils de l’historien : recherche dans les archives, à partir des sources directes, des témoins... La promotion suivante a eu carte blanche pour poursuivre ce travail de réactivation de la mémoire. C’est eux qui ont choisi le format du podcast et du compte Instagram, je leur fais totalement confiance. Les recherches ont notamment permis d’établir que la plaque avait été inaugurée en 1953, par la faculté. Ou encore que la présence de certains noms est difficile à justifier vis-à-vis de leur lien avec l’université, soulignent Laure et Quentin.

« Valoriser le travail des étudiants, en les faisant travailler sur des matériaux et des rendus concrets »

Avec son collègue Christian Bonah, professeur en histoire des sciences, avec qui il partage ce séminaire au premier semestre, Alexandre Sumpf apprécie valoriser le travail des étudiants, en les faisant travailler sur des matériaux et des rendus concrets . En 2024, il obtient un financement Idex Structuration, pour reconnaitre à travers des vacations le travail de la dizaine d’étudiants impliqués dans le projet.

Trois étudiantes en sciences sociales ont aussi pris part à une observation participante, directement dans le hall du Palais U, pour étudier le comportement des visiteurs vis-à-vis de la plaque commémorative : Elles en ont conclu qu’il y avait beaucoup de passage, mais que finalement peu de personnes s’arrêtaient, et encore moins connaissaient son histoire. Enfin, avec le master Muséologie, le projet va être poursuivi, visant à établir dans l’aula un lieu d’exposition permanente. Quant au podcast, il pourrait, pourquoi pas, faire l’objet d’un qwercode de renvoi aux côtés de la plaque. Pour que cette mémoire sorte définitivement de l’ombre.

Monique Feldstein et Bhimo Jodjana : deux salles du Palais U renommées

En avril, un vote a été organisé auquel ont pris part une majorité d’étudiants de la Faculté des sciences historiques.

Ils ont choisi de nommer deux salles du Palais universitaire, d’après deux noms inscrits sur la plaque commémorative : celui de Monique Feldstein, l’une des trois seules femmes y figurant, étudiante juive déportée, et Bhimo Jodjana, jeune Javanais ayant étudié seulement 10 jours à la Faculté de médecine de Strasbourg repliée à Clermont-Ferrand, avant d’être raflé.
 Un choix symbolique fort, souligne Alexandre Sumpf, qui soutient la démarche, qui doit être présentée en conseil de faculté fin mai. Ils avaient notre âge, la vingtaine, et voulaient juste vivre et étudier, commentent Laure et Quentin, qui ont fait partie des votants.

Cette initiative, ainsi que le podcast et l’exposition, s’inscrivent dans un plus vaste programme, déployé à l’occasion des 80 ans de la Libération, pour lequel un comité de pilotage a été constitué, une exposition déployée sur les grilles de l’Hôtel de Ville ou encore un voyage au camp de Buchenwald organisée. Nous souhaitons aussi redynamiser la participation des étudiants aux cérémonies de commémoration du 25 novembre, ajoute encore Alexandre Sumpf.

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